La crise du vélo n’est pas qu’une histoire de ventes

Depuis deux ans, le constat est brutal : des magasins ferment, des stocks dorment, des marges s’évaporent. On parle de crise du vélo comme on parlerait d’un accident soudain. En réalité, il s’agit moins d’un crash que d’un atterrissage mal anticipé.

Par Jeff Tatard – Photo : @jefftatard

Et parmi les raisons rarement dites à voix haute, il y en a une qui dérange : le vélo électrique, post-Covid, a profondément modifié la mécanique du marché.

Le paradoxe du vélo électrique : il se vend bien… et il se revend mal

Pendant la période Covid, le vélo électrique s’est vendu massivement. Trop massivement pour ne pas laisser de traces.

Mais aujourd’hui, on observe un phénomène simple et implacable : les acheteurs de vélos électriques gardent leur vélo plus longtemps.

Là où un cycliste route, gravel ou VTT renouvelle sa machine tous les 2 à 4 ans par passion, évolution technologique, changement de pratique, l’utilisateur de VAE adopte une logique différente :

  • usage utilitaire ou loisir
  • investissement perçu comme durable
  • attachement fonctionnel plus que passionnel

Résultat : moins de rotation, moins de reventes, moins de réinjection de trésorerie dans le neuf.

Sans marché de l’occasion fluide, le neuf étouffe

Dans le vélo, le marché du neuf et celui de l’occasion sont indissociables.
On n’achète pas un nouveau vélo tant qu’on n’a pas vendu l’ancien.
Ce n’est pas une posture idéologique, c’est une réalité de trésorerie.

Quand l’occasion fonctionne…

  • le cycliste libère du cash
  • il monte en gamme
  • il retourne chez son vélociste

Quand l’occasion ralentit…

  • l’acte d’achat se fige
  • le neuf s’accumule
  • le stock devient une charge, pas un actif

Et c’est précisément ce qui se passe aujourd’hui.

Le faux mythe du “volume sauveur”

Face à la crise, beaucoup ont cru qu’il fallait vendre plus. Plus de références. Plus de vélos accessibles. Plus de volume. Erreur classique.

En réalité, on observe que les magasins qui s’en sortent le mieux sont ceux positionnés sur le haut de gamme.

Pourquoi ? Parce que vendre un vélo à 10 000 € est souvent plus rationnel que d’en vendre cinq à 2 000 €.

Cinq fois plus de vélos, c’est :

  • cinq fois plus de temps
  • cinq fois plus d’explications
  • cinq fois plus de SAV
  • cinq fois plus de gestion
  • et rarement cinq fois plus de marge nette

Le haut de gamme, lui, concentre :

  • la valeur
  • la marge
  • l’expertise
  • la relation

Et paradoxalement, moins d’usure humaine pour le vendeur.

La trésorerie : le nerf de la guerre (dont on parle trop peu)

Autre point clé, souvent passé sous silence : ceux qui résistent le mieux sont ceux qui ont de la trésorerie.

Pourquoi ? Parce que la trésorerie permet :

  • d’acheter en volume
  • de négocier de meilleures conditions
  • d’absorber les cycles
  • et in fine… de proposer des prix plus justes au client

C’est une réalité que David, le patron de Matériel Vélo à Herblay (95), nous a rappelée avec beaucoup de justesse lors d’un récent échange qui nous a ouvert les yeux.

Dans un marché tendu, le prix final n’est pas qu’une question de marge, mais de capacité à acheter intelligemment en amont. Ceux qui peuvent avancer l’argent achètent mieux. Ceux qui achètent mieux vendent plus juste. Et ceux qui vendent plus juste gardent leurs clients.

Les 3 D : Denis, Dany et David ou quand la trésorerie de Matériel Vélo à Herblay (95) n’est pas un chiffre, mais le résultat d’un travail d’équipe et de choix assumés.

Une crise de modèle plus qu’une crise de passion

Ce qui se joue aujourd’hui dans le vélo n’est pas une désaffection. Les gens roulent. Les pistes sont pleines. La pratique est là. Mais le modèle économique, lui, doit se réinventer :

  • moins dépendant du volume
  • plus intelligent dans la rotation
  • plus clair dans le positionnement
  • plus solide financièrement

Le vélo reste un sport et un objet merveilleux. Mais comme toute industrie cyclique, il exige une chose essentielle : comprendre que vendre n’est pas seulement écouler, c’est organiser le temps, la valeur et la confiance.

La crise actuelle ne condamne pas le vélo. Elle condamne les modèles fragiles.

Et elle rappelle une vérité simple, mais souvent oubliée : dans le vélo comme ailleurs, ce ne sont pas toujours ceux qui vendent le plus qui s’en sortent le mieux, mais ceux qui vendent le plus intelligemment.

Jean-François Tatard

- 44 ans - Athlète multidisciplinaire, coach en vente et consultant sportif. Collaborateur à des sites spécialisés depuis 10 ans. Son histoire sportive commence quasiment aussi vite qu’il apprend à marcher. Le vélo et la course à pied sont vite devenus ses sujets de prédilection. Il y obtient des résultats de niveau national dans chacune de ces deux disciplines.

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