Pourquoi rouler à plusieurs fait vraiment aller plus vite

À vélo, le vent n’est jamais un simple décor. Il est un adversaire permanent, invisible mais vorace, qui capte l’essentiel de l’énergie produite par le cycliste. Depuis toujours, les coureurs ont compris qu’il valait mieux l’affronter à plusieurs. Une étude scientifique montre à quel point cette intuition est juste, et à quel point elle peut transformer la pratique du vélo, même loin du peloton professionnel.

Par Guillaume Judas – Photos : depositphotos.com

Vous l’avez sans doute remarqué, dès que la vitesse dépasse 25 km/h, la résistance de l’air devient le principal facteur limitant votre progression à vélo. En réalité, c’est même dès lors que la vitesse de déplacement dépasse 15 km/h que la résistance de l’air devient prépondérante, même si ce n’est pas tout de suite sensible. En théorie, la traînée augmente avec le carré de la vitesse, et la puissance aérodynamique avec son cube. En pratique, d’autres résistances atténuent légèrement cet effet, mais la tendance reste très marquée. C’est pourquoi aller plus vite ou affronter un fort vent de face demande toujours plus d’effort. C’est là qu’intervient la dynamique du groupe.

©3bikes.fr. Source : Martin et al., Validation of a mathematical model for road cycling

Parce qu’on parle ici d’un cycliste qui roule seul. Dès qu’un second cycliste se place dans sa roue, on ne retrouve plus les mêmes résistances. Le coureur placé derrière profite immédiatement de l’aspiration et voit la résistance de l’air chuter de façon spectaculaire. Et plus le nombre de cyclistes est important dans la file, plus on constate une diminution de la puissance nécessaire à l’avancement, selon le placement dans le groupe.

©3bikes.fr. Source : Journal of Wind Engineering and Industrial Aerodynamics (2018)

Selon une étude publiée en 2018 dans le Journal of Wind Engineering and Industrial Aerodynamics, basée sur des simulations CFD (dynamique des fluides), ce qui surprend davantage, c’est que le cycliste de tête bénéficie lui aussi de la présence des autres cyclistes qui le suivent. Il n’affronte pas exactement la même résistance à l’air que lorsqu’il est seul. Car les turbulences générées par ceux qui le suivent réduisent légèrement la dépression derrière lui, diminuant ainsi l’effort nécessaire de 2 à 3 %. Peu en valeur absolue, mais ce qui est le plus frappant selon cette étude, c’est la réduction moyenne de la trainée aérodynamique des cyclistes dans l’ensemble du groupe.

À mesure que la file s’allonge, les effets deviennent de plus en plus marqués. Les coureurs placés au milieu du groupe roulent dans des conditions aérodynamiques extrêmement favorables, parfois avec une traînée réduite de 40 à 50 % par rapport à un cycliste isolé. Plus encore, la traînée moyenne du groupe baisse continuellement à chaque nouveau coureur ajouté. Avec huit ou neuf cyclistes, l’effort aérodynamique moyen est presque divisé par deux.

©3bikes.fr. Source : Journal of Wind Engineering and Industrial Aerodynamics (2018)

La force du nombre

Ces résultats, issus de simulations numériques avancées en dynamique des fluides, confirment que rouler en groupe ne redistribue pas seulement la fatigue. Le déplacement d’un ensemble de cyclistes qui se suivent modifie réellement le comportement de l’air. Le peloton devient un objet aérodynamique collectif, plus efficace que la somme de ses parties.

À cela s’ajoute bien évidemment le comportement et la tactique des coureurs à l’intérieur du groupe. On l’a vu, le cycliste de tête économise déjà 2 à 3 % avec un ou des coureurs dans sa roue. Ceux-ci économisent de 30 à 60 % d’énergie en profitant de l’aspiration de ce coureur de tête, ou de ceux qui les précèdent selon l’importance du groupe. S’ils sont bien organisés, tous ces coureurs peuvent donc de relayer en tête, pour partager l’effort face au vent, et les phases de récupération à l’abri des roues.

Le vélo est un sport où la coopération permet de repousser les limites personnelles, et où l’intelligence du placement peut parfois valoir plus que la puissance brute

Ce que ça représente en watts

Pour mesurer concrètement ce que cela signifie, il faut traduire ces pourcentages en watts. Prenons un cycliste amateur moyen roulant à 32 km/h sur du plat. En solo, maintenir cette vitesse demande environ 230 à 250 watts, selon le gabarit, la position et le matériel. L’essentiel de cette puissance sert à vaincre la résistance de l’air.

Dans un groupe bien organisé, ce même cycliste placé au cœur d’une file de cyclistes peut voir la traînée chuter autour de 40 à 45 %. Autrement dit, au lieu de fournir 240 watts, il peut maintenir la même vitesse avec seulement 140 à 160 watts dans un groupe dense et bien organisé. L’économie est impressionnante : près de 100 watts, simplement grâce au placement.

Même des cyclistes amateurs à l’entraînement peuvent bénéficier de l’effet de groupe.

Même le cycliste qui prend un relais en tête n’est pas perdant. Là où il faudrait 240 watts pour rouler seul, l’effet du groupe peut ramener l’effort à environ 225 watts dans des conditions de vent relativement stables. Sur quelques dizaines de secondes, la différence semble modeste, mais répétée tout au long d’une sortie, elle permet de tenir plus longtemps, de récupérer plus vite et de multiplier les relais sans exploser.

C’est précisément cette mécanique qui explique pourquoi un groupe peut rouler vite pendant des heures, alors qu’un cycliste seul finit inévitablement par perdre du terrain, même à puissance équivalente.

Ce que cela change pour un cycliste amateur

Pour un cycliste amateur, ces chiffres ont des conséquences immédiates. Ils expliquent pourquoi une allure qui paraît insoutenable en solo devient presque confortable en groupe, et pourquoi l’on peut rentrer d’une sortie collective fatigué mais rarement vidé. Rouler en groupe n’est pas tricher avec l’effort : c’est l’optimiser.

Cela signifie aussi que la clé de la performance ne réside pas uniquement dans l’entraînement individuel ou l’augmentation des seuils de puissance, mais dans la capacité à bien utiliser le groupe. Savoir rester proche de la roue qui précède, éviter les à-coups et accepter de prendre des relais courts, c’est aussi important que gagner quelques watts sur un capteur de puissance.

À l’inverse, rouler mal placé, trop loin de la roue ou en tête plus longtemps que nécessaire revient à gaspiller une énergie précieuse. Pour l’amateur, cela peut faire la différence entre finir fort et subir les derniers kilomètres d’une sortie, ou d’une course.

En course, et face aux éléments (comme ici un fort vent de côté), les cyclistes en groupe bien organisés sont beaucoup plus efficaces qu’un coureur solitaire.

Une autre manière de penser l’effort

Cette lecture scientifique d’une file indienne de coureurs change la perception de l’effort en cyclisme. Elle rappelle que la performance n’est pas seulement individuelle, mais collective. Dans un groupe bien organisé, chacun roule au-dessus de son niveau réel, sans forcément s’en rendre compte. C’est aussi ce qui fait la beauté du vélo : un sport où la coopération permet de repousser les limites personnelles, et où l’intelligence du placement peut parfois valoir plus que la puissance brute.

Le groupe est l’arme la plus efficace du cycliste face au vent. Pour les professionnels, c’est une question de victoire. Pour les amateurs, c’est un moyen simple et puissant de rouler plus vite, plus longtemps et avec plus de plaisir. À vélo, le vent se combat rarement seul, et la science confirme qu’on a raison de s’en méfier.

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Guillaume Judas

  - 54 ans - Journaliste professionnel depuis 1992 - Coach / Accompagnement de la performance - Ancien coureur Elite - Pratiques sportives actuelles : route & allroad (un peu). - Strava : Guillaume Judas

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