La modération, la seule vraie côte hors catégorie

Il existe un paradoxe fascinant dans le monde du vélo : nous sommes capables d’accomplir des choses physiquement absurdes, comme grimper un col pendant deux heures en parlant de braquets, mais incapables de manger un seul carré de chocolat sans que la tablette ne disparaisse mystérieusement dans la foulée.

Par Jeff Tatard – 3Bikes.fr / Photos @jefftatard

C’est que le cycliste, cet animal sensible du système cardio-pulmo-ego, est un être de contrastes.
Chez lui, la nuance est une option, comme les garde-boue sur un vélo de triathlon à 15k.
Il ne connaît que deux positions : ON et OFF.
L’abstinence totale ou la débauche absolue.
La sagesse prudente ou la séance « j’ai failli voir Dieu dans la deuxième répétition ».

On pourrait croire que c’est de la passion.
C’est surtout un léger déficit chronique de dosage, cette vertu un peu poussiéreuse qui ressemble à un vieux dérailleur parfaitement réglé : on sait que ça existe, mais personne ne l’a vu récemment.

Le cycliste et sa vision binaire : une histoire d’amour toxique

Le cycliste vit dans un monde où tout se mesure : watts, FTP,  TSS, FCmax, pourcentage de pente, grammes de masse corporelle, longueur de manivelle et nombre de cafés ingérés avant 10h.
Et pourtant, malgré toute cette instrumentation, il est incapable de percevoir la zone grise, la fameuse progressivité, ce concept fumeux probablement inventé par un coach qui voulait dormir tranquille.

Pour le cycliste, la logique est limpide :

  • Si rouler une heure fait du bien, rouler trois heures fera trois fois plus de bien.
    (Et peut-être même me transformera spontanément en Pogacar.)
  • Si je dois lever le pied aujourd’hui, autant ne pas rouler du tout.
    (Parce que faire 40 minutes en zone 2, c’est socialement humiliant.)
  • Si le plan d’entraînement dit 4 x 6 minutes, pourquoi ne pas faire 6 x 4 minutes ? Ou 8 x 5 ? Ou une séance d’1h d’intensité ? (« Je sentais que j’avais des bonnes jambes », dira-t-il plus tard en boitant.)

Le cycliste a une très belle relation avec l’excès : il le comprend, il le respecte, il le cultive.
Ce qu’il comprend moins, c’est le juste milieu, cette zone mystérieuse où l’on progresse sans se flinguer.

Modération : ce super-pouvoir que personne ne veut entraîner

Curieusement, l’abstinence totale est plus facile que la sagesse.
Ne pas manger de chocolat, bon, c’est strict mais clair. Par contre, manger un carré ? Là, c’est du haut niveau. C’est du travail de funambule. C’est comme faire une séance « tempo » : ni assez grande pour se vanter, ni assez douce pour être agréable.

La modération demande une qualité dont le cycliste est traditionnellement dépourvu : l’envie sincère de réfléchir avant d’agir.

Et ça, franchement, on n’est pas équipé pour.
On a des cuisses disproportionnées, une VO2max décorative, mais aucun capteur de bon sens intégré.

La progressivité ? On en parle surtout quand on ne la respecte pas.
C’est un peu comme la diplomatie : on la découvre quand ça explose.

Pourquoi ce manque de nuance ? Hypothèses très sérieuses, bien entendu

  1. Le cycliste adore le narratif héroïque.
    On ne raconte pas « j’ai roulé 55 minutes en endurance fondamentale comme prévu ».
    On raconte « je suis parti pour une petite sortie et par erreur, j’ai fini dans le peloton du mercredi à Baillet à 50km/h dans la ligne droite d’Amblainville ».
  2. Le cycliste croit au mérite par souffrance.
    Très imprégné d’une spiritualité vaguement monastique, il pense que plus ça fait mal, plus c’est juste.
    La nuance ne brûle pas assez pour être crédible.
  3. Le cycliste a peur.
    Peur d’en faire trop peu, peur de rater, peur de ne pas être assez bon.
    Alors il compense par l’excès, ce mécanisme psychologique élégant que l’on appelle scientifiquement « complètement craquer son plan d’entraînement ».
  4. Le cycliste adore les extrêmes.
    Le matériel extrême, les efforts extrêmes, les pentes extrêmes, les cafés extrêmes.
    Bref, la progressivité n’est pas instagrammable.
Son Ostro est optimisé pour fendre l’air. Notre vélo, lui, fend surtout les opinions esthétiques…

Et pourtant… la nuance, c’est la vraie performance

La nuance, c’est réussir à stopper une séance quand elle commence seulement à devenir un peu trop dure.
C’est accepter que la progression est un escalier, pas un tremplin.
C’est comprendre que parfois, le carré de chocolat de la récupération active vaut mieux que la tablette entière de l’intensité héroïque.

C’est un art, presque une sagesse zen : faire moins aujourd’hui pour faire mieux demain.

Mais rassurons-nous : le cycliste finira par comprendre. Généralement après une bonne blessure idiote (et devinez donc pourquoi on écrit cet article, LOL).
C’est la pédagogie naturelle du sport : le tendon explique, calmement mais fermement, ce que la tête n’a pas voulu entendre.

Conclusion : la modération, ce Graal à la fois simple et inaccessible

La modération est au cycliste ce que la discrétion est à un Y1Rs full black stickers compris : très belle en théorie, mais personne n’en a vraiment croisé un dans la nature.

Mais si un jour, vous voyez un cycliste qui respecte vraiment la progressivité, qui arrête sa séance quand il le faut,
qui mange un carré et range la tablette…

… ne vous inquiétez pas.
C’est probablement juste un cycliste débutant.
Les autres savent déjà que la vie est plus belle quand on exagère un peu.

=> Tous nos articles Coaching

=>Pour aller plus loin, cet article du Dr Cascua résume parfaitement comment progresser sans se blesser.

Jean-François Tatard

- 44 ans - Athlète multidisciplinaire, coach en vente et consultant sportif. Collaborateur à des sites spécialisés depuis 10 ans. Son histoire sportive commence quasiment aussi vite qu’il apprend à marcher. Le vélo et la course à pied sont vite devenus ses sujets de prédilection. Il y obtient des résultats de niveau national dans chacune de ces deux disciplines.

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