Partager la publication "Influenceurs : atout ou piège marketing ? 2/3"
Dossier spécial – Partie 2/3, Avant de reprendre, un petit rappel de la partie 1 : nous avons exploré tout ce que les influenceurs vélo apportent de positif : inspiration, pédagogie, communauté, ouverture, accessibilité… Et si vous l’avez ratée, nous vous invitons à commencer par la première partie du dossier en cliquant ici. Et pour aujourd’hui, on descend le petit plateau : on parle business, partenariats, codes promo, storytelling trop huilé pour être spontané… et dérives possibles.
Par Jeff Tatard – Photo : @jefftatard
Le piège commercial : quand l’influence devient marchandise
Mais… car il y a un « mais ».
…et c’est aussi le moment de rappeler quelque chose d’essentiel : alors que beaucoup d’influenceurs sont rémunérés pour tester ou mettre en avant du matériel, chez 3bikes cela n’a jamais été le cas. Jamais. Aucun de nos quatre rédacteurs n’a été payé pour dire du bien d’un produit. Quand c’est excellent, on le dit. Quand ça ne va pas, on le dit aussi. C’est notre ligne : honnêteté, transparence, et indépendance totale.
Le modèle économique de l’influenceur, même very bike-friendly, même celui qui commence toutes ses vidéos par « Salut la commu, j’espère que vous allez bien ! » repose quand même sur un petit moteur à essence qu’on connaît tous : le business.
Sponsoring, placements produits, liens affiliés, -10 % avec le code CYCLISTELIFE, lancements « édition limitée », « kit gravel premium en ripstop thermo-structuré », « veste pluie ultra-tech qui résiste à l’eau, au vent et à ton banquier ». Bref : à la clé, un joli ticket d’entrée. Et comme dans un peloton quand ça roule à 55 km/h tout le monde en rang d’oignons : tout devient un peu moins clair niveau aéro.
Et là, inévitablement, les questions fusent :
- Le contenu est-il vraiment désintéressé, ou légèrement parfumé à l’odeur douce-amère du partenariat rémunéré ?
- Les marques scrutent-elles l’audience, ou l’authenticité ?
- Les followers achètent-ils parce que « c’est cool », ou parce que c’est utile, vraiment utile, ou parce qu’ils ont peur d’être les seuls à ne pas avoir la sacoche Apidura carbone-look montée sur la tige de selle ?
Et puis il y a les cas plus flagrants : quand un influenceur vélo est payé pour faire une review « honnête et transparente » du dernier modèle à 1 400 € la paire de roues, le message devient flou comme un pare-brise sous la pluie sans Rain-X. Oui, le matériel haut de gamme a du sens. Oui, c’est agréable. Oui, ça fait aller plus vite. Mais pour qui ? Pour tout le monde ? Ou seulement pour ceux qui veulent montrer un peu plus qu’un compteur Garmin sur le cintre ?… Le genre de personnes pour qui avoir un Karoo 3, deux capteurs de puissance et une GoPro 12 signifie « je suis minimaliste, je ne prends que l’essentiel ».
C’est là qu’on entre dans une zone technique, comme un singletrack boueux : le terrain glissant de l’accessibilité. À la base, le vélo est censé être simple. Tu montes dessus. Tu pédales. Tu respires. Tu reviens. Fin.
Mais l’influence commerciale peut facilement donner l’impression qu’il faut absolument :
- la paire de lunettes full mirror Oakley Sphaera,
- la tenue « Pro Team Aero Thermal Light Mk3 » (couleur Sable du désert),
- le dernier casque aéro venturi-optimisé,
- et cette sacoche de cintre qui coûte plus cher que le premier vélo Décathlon de ton enfance,
pour être « un vrai cycliste ».
Et petit à petit, sans même s’en rendre compte, on glisse. Pas à cause des pneus usés, non. À cause de la pression : faire partie du club, être stylé sur Insta, ne pas être « le seul du groupe à rouler en caisse alu 2012 avec des roues qui ronflent pas ». On passe du plaisir simple à une sorte de marché du visible, où la dopamine vient parfois plus des likes que des kilomètres.
Et encore, on n’a pas parlé du summum : Les challenges sponsorisés où l’on te propose de rouler 300 km en 24 h pour tenter de gagner : « UNE PAIRE DE ROUES CARBONE ULTRA-EXCLU (valeur : un SMIC) – tirage au sort parmi les finishers* » (Spoiler : il y a 48 finishers et un seul gagnant. Ce n’est pas toi.)
Comme si la souffrance devenait le badge ultime, le totem, le ticket d’entrée dans le temple du cyclisme moderne.
Le message dissonant : communauté versus consommation
Dans un monde idéal, l’influenceur vélo serait un amplificateur du plaisir simple : “mets-toi en selle, respire, regarde le paysage, partage”. Dans le monde réel, il y a souvent ce double discours : “mets-toi en selle”, et “achète ceci, porte cela, filme ça”.
Et c’est là que certains cyclistes commencent à lever un sourcil. Le message « liberté, aire, respirer » est parfois accompagné de « mets-toi aux X kilomètres/h, équipe-toi des Y accessoires, sois visible ». Le cycliste amateur peut se sentir Petit Poucet face à l’industrie qui tente de le convertir en consommateur.
Souviens-toi de cette scène dans un de nos récents articles (et que nous aimons toujours) : le cycliste qui s’élance avec ses lunettes Oakley Meta vissées sur le nez, file entre deux voitures comme dans Ninja Warrior, et s’imagine que l’espace de 12 cm équivaut à une autoroute. Ce cycliste est peut-être influencé par ce qu’il voit à l’écran : “ça passe”, “c’est cool”, “essaye-le”. Et on finit par valoriser les trajectoires borderline, le style extrême, et parfois l’inutile.
Entre éthique, transparence et responsabilité
Alors : comment garder l’influence positive ?
Déjà, en rappelant que l’influence n’est pas un défaut en soi. Ce qui compte, c’est comment on influence. Parce que montrer un entraînement Zone 2 en filmant le lever de soleil, c’est beau.
Montrer un sac de 14 produits reçus en partenariat sous prétexte de « simplicité minimaliste », c’est… autre chose.
Alors voilà quelques principes qui pourraient sauver l’écosystème avant qu’on finisse tous en train d’acheter des pédales titane à 600 € sans savoir pourquoi…
1. Transparence totale : pas de partenariat en mode ninjaLes partenariats doivent être clairs. Vraiment clairs.
Les gens ne détestent pas la pub. 2. Diversité des récits : le cycliste, ce n’est pas un seul archétypeIl n’y a pas qu’un modèle. Il y a :
Tous méritent d’être visibles. Pas seulement les torses rasés qui font des vidéos au drone. 3. Message modéré : pas besoin de 14 gadgets pour être heureuxPlutôt que d’encourager l’accumulation de gadgets (pensez à vos tiroirs remplis de capteurs ANT+ morts), on pourrait valoriser :
Parce qu’au fond, un cycliste heureux, c’est rarement celui qui a le plus beau matos. 4. Communauté avant comptage de vuesUn influenceur existe pour nous, pas pour son tableau de bord YouTube Studio. Si les contenus :
alors c’est gagné. Si les contenus ressemblent à un catalogue Rapha animé… On peut se poser quelques questions. 5. Critique constructive : la nuance, ce concept oubliéOui, rouler deux de front dans une rue étroite est légal. Oui, montrer le dernier casque aérodynamique “aéro-optimisé pour les sprinteurs” est flashy. |
En gros : le style + la technique : OK, mais avec un peu d’intelligence, un soupçon de bienveillance et une généreuse louche d’éthique.
Parce que la meilleure influence… c’est celle qui inspire sans pousser à consommer, qui guide sans infantiliser, et qui rappelle que le vélo, au fond, reste un plaisir simple : deux roues, un pédalier, et une dose de lucidité pour éviter de finir prisonniers du marketing sur jantes carbone.
En résumé :
« transparence, diversité des récits, simplification, communauté, nuance ».
Un influenceur n’existe pas pour les statistiques YouTube, mais pour celles et ceux qui le suivent.
S’il explique, motive, démocratise, alors son rôle est bénéfique.
S’il vend, sur-vend et enveloppe le tout dans une fausse authenticité… alors c’est autre chose.
Dans la prochaine partie…
Dans la partie 3/3, nous irons encore plus loin : dérives extrêmes, perte d’objectivité, influence qui dépasse le vélo,
et surtout une anecdote très réelle, vous verrez, une scène vécue au Canada qui ressemble à un miroir grossissant de ce que peut devenir une influence débridée.
=> Revoir la Partie 1 de notre dossier
=> L’économie de l’influence : comprendre un système devenu incontournable
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