La sortie vélo en groupe est-elle morte ?

Jadis école de vie à 30 km/h, la sortie de groupe est devenue un Strava Live en roue libre : attaques solitaires, cris hystériques pour un gravillon et moitié du peloton semée dès le premier faux-plat. Depuis le Covid, les codes ont explosé avec l’arrivée massive de nouveaux venus qui roulent comme s’ils étaient seuls au monde. La sortie collective et ses vertus sociale est-elle condamnée ? Ou suffit-il de remettre un peu de mentorat et de savoir-vivre pour que le peloton redevienne un vrai groupe plutôt qu’une bande d’egos sur deux roues ?

Par Guillaume Judas – Photos : depositphotos.com

Autrefois, sortir en groupe, c’était sacré. Pas tous les jours. Pas pour toutes les sorties. Mais c’était le rendez-vous sympa du dimanche matin. Ou du mercredi pour les coursiers. Un bon moyen de retrouver les copains et de « borner » sans trop voir le temps passé. Bien sûr, il y a avait toujours ce dernier sprint à la pancarte, toujours la même, histoire de s’amuser un peu. Mais on mettait en route au maximum cinq km avant. Les vieux lâchaient. Les débutants faisaient l’élastique. Mais on retrouvait tout le monde à la fontaine une fois que la ligne virtuelle avait livré son verdict. On ne parlait pas encore de KOM toutes les cinq minutes, on ne checkait pas son téléphone à chaque feu rouge pour voir si on avait battu untel ou untel sur le segment du boulanger. Non, on roulait pour le plaisir d’être ensemble, pour apprendre à tenir sa ligne comme un grand, à lever la main quand un piéton traversait en mode zombie, et à ne pas transformer chaque bosse en attaque de champion du monde. On ne roulait pas pour montrer qu’on avait la plus grosse.

Le peloton, c’était une micro-société avec ses rites, ses anciens et ses bizuts. Le vieux baroudeur roulait devant, calme comme un moine, et balançait ses leçons entre deux gorgées de bidon tiède : « Tu colles pas la roue du mec devant quand tu bâilles, gamin. » Et on écoutait. Parce que se faire engueuler collectivement, c’était la garantie de ne jamais recommencer.

La fracture du Covid

Puis vint le Covid. Les routes désertes, les clubs fermés, les applis de home-trainer qui hurlaient « ALL OUT ! » toutes les trente secondes. Quand on a enfin eu le droit de ressortir, une nouvelle espèce avait débarqué : le cycliste post-apocalyptique. Casque aero vissé jusqu’aux oreilles, cuissard dernier cri, compteur qui bipe plus souvent qu’un détecteur de métaux sur une plage normande, et même parfois les écouteurs dans les oreilles. Il arrive, il voit vingt mecs qui tournent les jambes tranquilles, il se dit : « Cool, un échauffement avant mon test FTP. »

Résultat ? Le groupe ressemble désormais à une course de stock-cars sans règles. Y’en a un qui attaque dès le panneau du village, un autre qui freine en plein milieu parce qu’il a vu un écureuil « trop mignon », un troisième qui crie « TROU ! » pour un grain de gravier gros comme un Smarties. À l’arrière, on a perdu la moitié du peloton depuis le dernier rond-point et tout le monde sprinte comme si sa mère était poursuivie par un ours.

Est-il utile de se juger, de se comparer, à chaque sortie en groupe ?

Le drame, c’est que personne ne dit plus rien. Avant, tu te faisais remettre en place direct, avec amour mais fermeté. Aujourd’hui, on baisse les yeux, on râle sur WhatsApp après coup et on se jure de ne plus jamais rouler avec « ces kékés ». Bravo l’ambiance. Les vieux ne viennent plus. Certains roulent encore entre eux, mais le cœur n’y est plus. Les anciens coursiers aimaient encore côtoyer les jeunes. Les futurs champions. Donner quelques conseils. Les féliciter après une grande victoire qu’ils avaient vu dans le journal, ou sur Internet. Aujourd’hui, un néophyte à Longchamp menace de « péter le nez » à un ex-pro qui a fini cinq Tours de France qui veut simplement lui expliquer dans quel sens passer ses relais. Le respect ? Pourquoi, puisque désormais c’est « chacun pour sa gueule » ?

Faire revivre la sortie en groupe

Alors oui, il y a plus de cyclistes sur les routes, et c’est plutôt une bonne nouvelle. Donc, pour cela : merci à vous, les nouveaux cyclards. Merci d’intégrer notre microcosme, de partager avec nous votre expérience vécue dans d’autres sports. Mais non, on ne va pas laisser la sortie en groupe crever sous prétexte que certains découvrent le vélo en même temps que leur crise de la quarantaine.

La solution est simple, et elle ne coûte rien : reprenez votre rôle de grand frère ou de grande sœur. Roulez deux minutes à côté du mec qui zigzague comme une cocotte en papier. Dites-lui calmement : « Tu respires par le nez, tu fixes un point à vingt mètres, et ta roue avant arrête de faire du tango avec la mienne. » Il vous regardera comme si vous veniez de lui révéler le sens de la vie. Et il vous remerciera. Peut-être pas tout de suite. Peut-être dans deux ans, quand il deviendra à son tour le vieux con qui râle sur les jeunes. Parce qu’au fond, le vélo, c’est ça : une chaîne ininterrompue de coups de gueule bienveillants et de cafés-crème au sommet.

Donc la prochaine fois que vous sortez en groupe, posez-vous la seule question qui vaille : est-ce que je roule pour que mon ego gagne trois places sur Strava… ou pour que le peloton soit plus solide en redescendant ? La sortie en groupe n’est pas morte. Elle est juste en coma artificiel. À vous de débrancher la prise… ou de la ranimer. Allez, on se remet en file indienne. Et on sourit.

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Guillaume Judas

  - 54 ans - Journaliste professionnel depuis 1992 - Coach / Accompagnement de la performance - Ancien coureur Elite - Pratiques sportives actuelles : route & allroad (un peu). - Strava : Guillaume Judas

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