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Il y a des gens qui pédalent pour avancer, et d’autres pour comprendre. Élise Caron, elle, fait les deux. Durant un long entretien, elle a parlé calmement, avec cette clarté tranquille qui préfère le sens à la démonstration. Ses phrases, parfois sinueuses, semblaient suivre le rythme d’une piste de gravel : des détours, des montées, des éclaircies soudaines. Peu à peu, un fil s’est imposé, celui d’une femme qui a appris à faire coïncider le dedans et le dehors, l’élan du corps et l’intelligence du regard, la rigueur du travail et la liberté de l’aventure.
Par Jeff Tatard – Photos : ©elisecaron
Elle a évoqué l’ultra et la solitude, les couleurs chaudes et les traces GPS, la lumière et le bois des scénographies qu’elle imaginait autrefois. Elle a parlé de Grenoble, des BRM, de ce vélo parfois trop modeste pour la rudesse d’une course, et de cette paix particulière qu’on ne trouve que dans les longues heures de route.
Elle a parlé d’images aussi : de la manière de poser une typographie sur un ciel, d’assumer l’ordinaire du voyage en solitaire, d’ouvrir la route aux autres en montrant simplement comment elle la vit.
Tout, dans son récit, tenait ensemble. Le design devenait méthode du réel, la communication prenait la forme d’une éthique du soin, et le vélo devenait une manière de penser. Plus qu’un sport, un langage du monde.
Élise Caron appartient à cette génération de cyclistes qui réconcilient le sensible et le technique, l’esthétique et l’effort.
Quand elle n’est pas sur une selle, elle conçoit des histoires pour d’autres : responsable des relations presse chez Origine Cycles, elle valorise par ses outils graphiques une marque française qui, à sa manière, veut rendre le pouvoir au cycliste. Mais dès qu’elle referme son ordinateur, elle redevient cette silhouette solitaire dans un relief inconnu, cherchant moins la ligne d’arrivée qu’un chemin intérieur.
« J’ai commencé le vélo autour de 2018, raconte-t-elle. (…) Mais en allant plus vite, et donc voir plus de belles choses. »
Ce basculement, elle le documente d’abord presque par accident, sur Instagram. Les images qu’elle publie frappent par leur cohérence visuelle : tons chauds, cadrages précis, mélange de photographie, de dessin et de typographie.
Ce n’est pas une influenceuse, c’est une graphiste qui parle avec la lumière.
C’est là, sans doute, que tout commence : dans cette volonté tranquille de partager sans emphase, d’offrir un regard qui dédramatise l’aventure et rend le réel poétique.
Dans sa manière de vivre l’ultra, la photographie n’est jamais un à-côté. Elle en devient même la mesure intime.
« Si j’ai fait beaucoup de photos, c’est que j’étais bien, présente à ce que je vivais. »
C’est le signe d’une harmonie entre effort et observation, un indicateur plus juste que n’importe quelle moyenne horaire.
Le design comme éthique du monde
Avant le vélo, Élise Caron a longtemps construit des mondes. Scénographe et designer d’espaces, elle conçoit des environnements immersifs pour des marques de sport, des lieux pensés comme des récits à vivre.
Cette expérience laisse des traces : une façon de penser la cohérence, de composer avec les contraintes, d’organiser l’imprévisible.
« Dans ce métier, on sait qu’il y a 75 % de ce qu’on peut prévoir et 25 % d’improvisation. Ça apprend à lâcher prise. »
Une leçon qu’elle transpose aujourd’hui sur le vélo. L’itinérance, l’ultra, ce n’est rien d’autre qu’une grande scénographie du monde.
L’ultra comme expérience de soi
Chez Élise, l’ultra n’a rien de l’exploit héroïque. C’est un art du rythme, une pédagogie du temps.
« Ce que j’aime, c’est le collectif invisible qui se forme entre les participants. »
La solitude, pour elle, n’est pas un poids ; c’est une paix.
« Je ne me suis jamais sentie en danger dans un ultra. (…) Les gens qu’on y croise (…) ont cette bienveillance commune de ceux qui savent ce que c’est que d’aller loin. »
Le corps, le territoire et la machine
Pour Élise, chaque course est un prétexte à la découverte.
Le choix d’un ultra se fait d’abord selon le territoire : une région inconnue, une topographie nouvelle, une promesse de paysages encore vierges de mémoire.
Mais elle garde une lucidité concrète : « L’ultra, c’est un sport de riches, quelque part. Et j’ai dû faire avec. »
Cette lucidité ne sonne ni comme une plainte ni comme une posture : c’est un constat, une éthique du réel.
L’enseignement du déséquilibre
Aujourd’hui, Élise vit à Grenoble. Un choix délibéré : quitter la région parisienne pour une ville où l’on peut, en vingt kilomètres, grimper dans la montagne et disparaître du monde.
Elle enseigne, travaille, voyage. Son équilibre ne tient pas à l’absence de tension, mais à la conscience de ces tensions, à la manière de les faire dialoguer.
Le regard et la couleur
Quand Élise parle de ses images, elle devient précise, presque technique.
« J’aime les couleurs chaudes. Même mes bleus sont un peu jaunes. »
Sa photographie n’est pas décorative : elle pense en designer.
Il y a, dans son travail visuel, une pudeur joyeuse : montrer sans poser, dire sans s’imposer.
L’intelligence du réel
Chez Origine Cycles, son rôle est celui d’une médiatrice : comprendre la logique technique des ingénieurs et la traduire en récit.
« Quand j’envoie un communiqué de presse, je veux qu’il soit beau. Pas pour faire joli : parce que la beauté, c’est une manière de respecter le journaliste. »
Son approche a quelque chose d’artisanal, presque éthique.
On y retrouve l’esprit du gravel : faire bien plutôt que vite, préférer la cohérence à la performance.
Les femmes, la place et le mouvement
Elle observe : « Le monde du vélo reste marqué par la performance, mais les choses changent. »
Sa tranquillité à voyager seule inspire d’autres à franchir le pas.
Philosophie du mouvement
« Le vélo, c’est un sport de con. » – Élise Caron |
Mais derrière la provocation, il y a une tendresse, une humanité.
Ce qu’elle veut dire, c’est que ce sport apprend la patience, la constance, l’humilité.
« La motivation, c’est ce qui te fait commencer. La discipline, c’est ce qui te fait continuer. »
Ce rapport au corps, ni contraint ni idéalisé, fait partie de sa philosophie : accepter les oscillations, accueillir les creux, continuer à pédaler, même doucement.
Le monde comme grand atelier
On pourrait croire qu’Élise Caron fait du vélo pour échapper à son métier. En vérité, elle y prolonge le même geste : organiser le chaos, lui donner forme, créer de la beauté avec ce qu’il y a.
Tout, chez elle, parle de la même chose : la cohérence. Non pas celle du contrôle, mais celle de l’accord entre le dehors et le dedans.
Dans un monde qui valorise la vitesse, Élise Caron pédale à son rythme. Elle ne cherche pas à gagner, seulement à comprendre.
Peut-être que son œuvre, au fond, c’est ça : transformer la route en atelier de création, le mouvement en pensée, et le réel en matière à poésie.
| Élise Caron, c’est l’intelligence du concret, la douceur du détail, la rigueur d’une ligne claire. Elle ne cherche pas à briller ; elle éclaire…Et dans ce sillage de poussière ocre et de lumière rasante, on comprend qu’il existe mille façons d’aller loin, mais qu’aucune ne vaut celle où le monde, enfin, devient paysage intérieur. |
Pour découvrir davantage son univers, ses images et ses projets,
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