Partager la publication "Nicolas Roche, l’homme qui n’a jamais cessé d’avancer"
Il arrive, silhouette fine, sourire tranquille, casque sous le bras. Le vent d’automne soulève un peu de poussière sur le chemin, celle qu’il connaît si bien désormais. Nicolas Roche vient d’endosser son premier maillot arc-en-ciel, celui du Gravel, cette discipline libre et sauvage où l’on s’invente soi-même à chaque nouveau chemin. Trente-six ans après son père Stephen, un autre Roche porte donc les couleurs du monde. Mais cette fois, c’est une histoire nouvelle, un chapitre à lui. Le fils de Stephen, le coureur du World Tour, le capitaine discret, l’homme de devoir… il a fermé ce chapitre sans bruit, sans drame, avec la même élégance qu’il mettait à se relever après une chute. Et aujourd’hui, il avance, toujours sur deux roues, mais sur un autre terrain. Quand le récent champion du monde de Gravel nous a accordé cet entretien, il ne s’agissait pas seulement de parler de performances, de watts ou de palmarès. Il s’agissait de parler de vie, de renaissance, de ce qu’il reste quand le chrono du compteur s’arrête. Un dialogue sincère, humain, parfois pudique, souvent lumineux, à l’image de cet homme qui a fait du vélo bien plus qu’un métier : un miroir de son existence.
Par Jeff Tatard – Photos : @roche_nicholas
Les débuts : quand le nom devient une route
Conflans-Sainte-Honorine, début des années 80… Un petit garçon court dans le jardin avec un maillot trop grand et un vélo trop petit.
Sur le cadre, un autocollant aux couleurs de l’Irlande, souvenir de ce père que tout le monde admire. Stephen Roche. Champion du monde, vainqueur du Giro, du Tour, de la Vuelta. Un triplé mythique gravé dans les livres d’histoire. Et, déjà, une ombre immense dans laquelle il faut apprendre à se tenir droit.

« Le vélo a toujours fait partie de ma vie, » nous confie Nicolas, d’une voix calme, posée. « Depuis tout petit, je jouais à être cycliste. » C’est une phrase simple, mais elle dit tout : le vélo n’a jamais été une découverte, encore moins une rébellion. C’était une évidence. Pas une obligation. Une présence.
Un peu comme ces paysages qu’on croit connaître par cœur, jusqu’à ce qu’un jour, on décide d’y tracer sa propre route.
La sienne commence vraiment à 12 ans.
L’Irlande, le retour, la famille, le vent, la pluie.
Il s’aligne sur une course locale, sans autre ambition que celle d’un gamin qui veut s’amuser. Il termine deuxième. Et ce jour-là, dans l’air humide de septembre, une graine s’enfonce. « J’avais décidé d’en faire plus l’année suivante. »
Deux ans plus tard, le rugby, autre passion irlandaise, lui arrache les ligaments croisés. Une blessure comme un signal. Le corps lui dit de choisir. Le vélo s’impose. Définitivement.
Grandir avec un nom comme Roche, c’est à la fois un moteur et un fardeau. « C’était un mélange, avoue-t-il. Toujours une pression, parce que je n’étais jamais assez bon. On disait toujours “il ne sera jamais comme son père.” » Mais il y avait aussi la fierté. Celle de porter un nom inscrit dans les manuels scolaires, celle d’avoir un modèle à la maison, pas sur un poster. « Mon père est dans mon livre d’histoire contemporaine, tu imagines ? » nous dit-il avec un sourire. Un héritage à la fois inspirant et encombrant. Une boussole et un poids.
Entre la France et l’Irlande, Nicolas construit une identité plurielle. Deux langues, deux cultures, deux sensibilités. « Je le vois comme une chance. J’aime et je suis fier de mes deux racines. Je vis dans le sud depuis longtemps, j’ai peut-être un penchant français, » rit-il.
Mais l’Irlande reste dans l’âme. C’est là qu’il a appris le courage et la simplicité. Deux qualités qui l’accompagneront dans tout le peloton.
Dix-sept ans de peloton : le métier avant la gloire
Dix-sept ans de World Tour. Rien que ça. Un chiffre qui résume la longévité d’un homme de métier, plus que d’un chasseur de coups d’éclat. « Ma régularité, c’est ce dont je suis le plus fier. »
Roche, c’est la constance, la rigueur, la discrétion efficace. Dans un peloton souvent dominé par les flamboyants, il a choisi d’être fiable. Toujours prêt, toujours juste, toujours pro.
Bien sûr, il y a des regrets. « J’aurais aimé gagner plus, surtout une étape du Tour. »
Mais le vélo, ce n’est pas qu’une histoire de lignes d’arrivée. Il y a ces jours de travail invisible, ces relais à la perfection, ces victoires qui ne figurent pas à côté de son nom mais auxquelles il a contribué. « J’ai aidé et joué un rôle important dans la victoire de mes leaders sur les plus belles courses du monde. » Et c’est là, sans doute, que se mesure la noblesse de sa carrière.
Tomber, se relever, recommencer
Un virage brutal. « Cette année-là, j’ai quasiment tout perdu. » Divorce, blessures, lassitude. « Je n’arrivais plus à m’entraîner. » Mais il ne lâche pas. « Le vélo m’a permis de garder la tête hors de l’eau. » Parce que pour Nicolas, le vélo n’est pas un métier : c’est une colonne vertébrale.
Il n’a jamais pensé à tout arrêter. Jamais.« Je me suis toujours battu, dans toutes les circonstances. » Ce n’est pas une phrase de façade. C’est son ADN.
Et dans ce monde où la lumière change d’un jour à l’autre, il garde une philosophie simple : « Être pro, c’est un mode de vie. Même en vacances, tu ne peux pas faire d’excès, parce que tu le payes ensuite. » Il rit, mais on sent le vécu derrière les mots. « C’est la différence avec d’autres sports : il n’y a pas de vraie phase de décompression. Même les jours de repos, tu dois faire attention à tout. »
C’est une forme d’ascèse. Mais aussi une liberté : celle de se connaître parfaitement. D’être maître de soi dans un monde qui t’impose tout. Et s’il devait refaire les choses ? « Pas grand-chose. » Une réponse désarmante de simplicité. « Je n’aime pas penser à ça. Parce que ça ne changera pas le présent. »
La transition : réinventer la route
Pour beaucoup d’athlètes, la retraite est un trou noir. Un silence après le vacarme.
Nicolas, lui, a foncé. « Ce n’est pas facile, mais j’ai préféré avancer. »
Pas de pause, pas de cocooning. Il enchaîne les projets, les voyages, les collaborations. « Je voyage 300 jours par an. J’ai 4 ou 5 activités différentes. Je ne me permets pas de me reposer. Le moment, c’est maintenant. »
Le ton est énergique, déterminé. Il ne parle pas comme un retraité, mais comme un entrepreneur. Il sait que dans le sport, la mémoire est courte. « L’erreur de beaucoup, c’est de lever le pied puis dire “on m’a oublié.” »
Il reconnaît pourtant que certaines journées sont dures. « La tête est encore en train d’accepter que c’est fini. Même si c’est moi qui ai choisi d’arrêter. »
Alors, il s’est réinventé. Pas dans le vide, mais sur le vélo. Le Gravel est venu comme une bouffée d’air. « C’était l’envie de garder la forme, de voyager, de voir le vélo sous un autre angle. »
Et cette fois, pas de radio, pas d’oreillettes, pas de stratégies millimétrées. Seulement la poussière, la solitude, la liberté. Une liberté gagnée à la force des mollets et de l’expérience.
Son titre de champion du monde de Gravel, il ne le vit pas comme une revanche. Plutôt comme une reconnaissance. « Je suis là depuis le début du Gravel européen. J’ai travaillé avec des organisateurs, avec l’UCI, j’ai donné des conseils, fait de la promotion. Ce titre, c’est un remerciement pour les sacrifices que je continue de faire. »
Et quand on lui demande ce que ce titre représente vraiment, il lève les yeux, cherche les mots. « Beaucoup. Surtout après m’être cassé la hanche en février. » Une phrase, courte, pudique, mais d’une densité immense.
Il ne se définit plus par des classements.
Aujourd’hui, c’est un ambassadeur. Pas seulement d’une marque, mais d’une façon de vivre. Libre, curieuse, équilibrée.
=> Pour suivre son actualité, ses aventures Gravel et ses projets à travers le monde, retrouvez Nicolas Roche sur Instagram : @nicolasroche |
Discipline et philosophie : plus que de la motivation
Chez Nicolas, la force mentale n’est pas une posture. C’est une hygiène de vie. Une façon d’être au monde.
Il a traversé des tempêtes, encaissé les doutes, affronté la routine. Mais il n’a jamais confondu motivation et discipline. « La tête, c’est important, mais il faut bien plus que ça. »
« La motivation te pousse à commencer. La discipline t’empêche d’arrêter. »
Il croit que cette discipline est à la fois innée et travaillée. Une graine qu’on arrose chaque jour, à la sueur du front. Et quand il n’a pas envie, parce que oui, ça arrive, il ne se force pas par obligation. « Je n’aime pas les obligations. Aujourd’hui, mon équilibre est là. Je ne suis pas pro du Gravel. Je suis ambassadeur de marques, je fais des courses, mais je n’ai plus rien à prouver ni de comptes à rendre. »
C’est un rapport mature à la performance.
Celui d’un homme qui a appris à se détacher sans se renier.
La réussite, pour lui, n’a plus le même visage. Elle n’est pas sur un podium. Elle est dans l’équilibre. Dans le fait d’aimer ce qu’il fait, de transmettre, d’inspirer. « Je ne suis pas sûr de ce qu’est la réussite. Mais ce titre veut dire beaucoup, surtout après ce que j’ai vécu. »
L’image, la sincérité et le style
Sur les réseaux, Nicolas Roche apparaît comme il est : simple, souriant, stylé.
Pas dans le calcul, pas dans la mise en scène.
« C’est moi, c’est tout moi. Pour que ça dure 20 ans, il faut que ce soit naturel. Tu ne peux pas jouer un rôle aussi longtemps. »
C’est sans doute pour ça que sa communauté le suit, avec respect et affection. Parce qu’il ne prêche pas, il partage. Parce qu’il ne surjoue pas, il incarne.
Oui, il aime la mode. Les belles choses, les beaux objets. « Ça me relaxe, » dit-il.
Et ça se sent : un goût sûr, un style sobre, un équilibre entre sportif et esthète.
Quand Bianchi l’a contacté, c’était comme une évidence. « Ils m’ont appelé en 2022, en disant : on pense qu’on peut faire des projets ensemble. Je n’avais jamais couru avec eux, mais je savais que nos images étaient compatibles. »
Ses collaborations ne sont pas des contrats d’image, mais des histoires de valeurs.
D’authenticité. De confiance.
Et c’est cette authenticité qui lui donne aujourd’hui une vraie place d’inspiration.
« Je pense que oui, j’ai un rôle. Mais je ne prône aucun extrême. Ma vie, c’est de montrer qu’il suffit d’un équilibre. »
L’équilibre. Toujours. « J’aime le vin, mais je fais attention. Je m’entraîne, même si j’ai d’autres occupations. Quand je suis blessé, je me bats pour revenir. Parce que je veux montrer que c’est faisable. » Et il le fait. Sans bruit. Avec constance.
Sur les réseaux, beaucoup le remercient.
Des inconnus, souvent. Des passionnés, parfois blessés, souvent fatigués, qui trouvent dans son parcours une preuve qu’on peut toujours se relever. « C’est une fierté pour moi de savoir que, peut-être, un jour, j’ai aidé quelqu’un à ne pas abandonner son projet. »
C’est peut-être là, le plus beau palmarès de sa deuxième vie.
Vision, avenir, message
Le monde du cyclisme change, s’ouvre, se fragmente. Mais Nicolas, lui, reste fidèle à une ligne claire : la sincérité et la persévérance.
Quand on lui demande quel message il voudrait transmettre, il baisse les yeux vers sa jambe gauche. Un tatouage. Trois mots. Never give up.
Ce n’est pas une formule marketing.
C’est une cicatrice transformée en devise.
Une manière de se souvenir que chaque chute, chaque blessure, chaque doute, peut devenir un tremplin.
Nicolas Roche n’a jamais cherché à être le plus fort. Il a voulu être le plus vrai. Celui qui ne triche ni avec les autres, ni avec lui-même. Et dans un monde saturé d’images et de postures, cette honnêteté-là a la force tranquille des grands.
Épilogue – Ce qu’il reste, quand la route s’arrête
Quand il pose le pied à terre, Nicolas ne regarde pas derrière lui. Il n’y a pas de nostalgie, pas de “c’était mieux avant.” Il y a une gratitude apaisée. Celle d’avoir vécu une vie pleine.
Il a été le fils de, puis le coureur, puis le capitaine, puis l’homme libre. Et à chaque étape, il a su se redéfinir, sans renier l’étape précédente.
Il n’a pas seulement roulé sur les routes du monde. Il a roulé à travers les doutes, les attentes, les frontières, les étiquettes.
Et il est encore là, sur le vélo, un sourire en coin, la poussière du Gravel sur les jambes, le vent dans le visage.
Parce que finalement, il n’a jamais cessé d’être ce gamin de Conflans, celui qui jouait à être cycliste. Sauf qu’aujourd’hui, il n’a plus besoin de jouer.
“Never give up.” Trois mots, mille vies.
Et, quelque part entre la France et l’Irlande, un homme qui continue d’avancer, sans bruit mais avec intensité, parce que la route, pour lui, n’a jamais vraiment de fin.
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