Partager la publication "Strava.com ou Alibi.com ? Quand le cycliste devient son propre agent double"
Souvenez-vous d’Alibi.com, cette comédie où Philippe Lacheau dirige une entreprise qui invente de faux prétextes pour couvrir les mensonges des autres… Eh bien, il semblerait que certains cyclistes aient trouvé le moyen d’adapter le concept à la sauce lycra : bienvenue dans l’ère du Strava Jockey, le coureur de substitution qui pédale à votre place pendant que vous sirotez un cappuccino en terrasse.
Texte : Jeff Tatard, Photos : IA, 3bikes.fr
Oui, oui, vous avez bien lu. Pendant que vous cherchez une excuse pour ne pas sortir sous la pluie, un type à l’autre bout du monde monte sur son home trainer, enfile son cardio et… pédale pour vous. Le tout, enregistré sur votre compte Strava. L’activité s’affiche fièrement : “Sortie tempo – 78 km – 31,8 km/h de moyenne – sensation top”. Et vous, vous récoltez les kudos comme si de rien n’était.
Autrefois, les cyclistes trichaient avec une plaque moteur ou un petit raccourci dans la montée. Aujourd’hui, on délègue carrément la sueur. Le sport devient une performance externalisée — une sorte d’outsourcing du mollet. On n’optimise plus son entraînement, on sous-traite son effort.
Et sur Leboncoin, paraît-il, on trouve des offres : “Strava jockey – cadence fluide, livrable sous 24h – tarif dégressif au kilomètre”. On imagine déjà le dialogue :
— “Chéri, tu rentres couvert de sueur ?”
— “Non, c’est mon jockey, il a eu chaud pour moi.”
Le concept a quelque chose de fascinant, presque poétique : on paie pour vivre par procuration sa propre endurance. Comme si on pouvait acheter la douleur, la discipline et la gloire — sans jamais les éprouver. À quand la version Premium ? “Forfait KOM garanti ou remboursé.”
Mais soyons honnêtes : il y a là une forme d’humour involontaire que seul le monde du vélo pouvait engendrer. Cette planète où la moindre montée devient un champ de bataille numérique, où un “segment” de 800 mètres vaut plus cher que la paix intérieure, et où certains préféreraient crever (au sens propre) plutôt que d’avouer qu’ils ont roulé sans cardio.
Derrière la plaisanterie, il y a tout de même un malaise : celui d’un sport qui se mesure de plus en plus à coups de pixels, de capteurs et de classements virtuels. Strava, à la base, c’était un carnet de route convivial. Aujourd’hui, c’est une bourse de la vanité sportive, où chaque watt devient un argument social. Le “jockey” n’est que le symptôme ultime : celui d’une génération qui préfère paraître performante plutôt que transpirer pour de vrai.
Et si on prenait le sujet à l’envers ? On a trouvé une offre à 25 € la sortie… alors pourquoi ne pas en faire une source de revenu ? Imaginez : à chaque fois que vous enfourchez le vélo, vous gagnez de l’argent. 25 € par ride, soit près de 800 € d’argent de poche par mois. Finalement, on ne se moque plus du “Strava jockey”… on se demande juste où signer.
Alors oui, rions-en. C’est absurde, grotesque et terriblement révélateur de notre époque : celle où l’effort se sous-traite, où la performance se monétise et où la sueur devient un service à la demande. Mais si certains paient 25 € pour qu’un inconnu pédale à leur place, peut-être que le ridicule change de camp. Parce qu’à ce tarif-là, nos sorties du dimanche prennent soudain un parfum d’investissement. Imaginez : chaque virée entre potes, chaque col gravi, chaque KOM raté de peu… transformés en petits billets virtuels. Le “jockey” ne serait plus celui qui triche, mais celui qui profite du système – honnêtement, en pédalant pour de vrai.
Et si, au fond, la plus belle revanche du cycliste passionné, ce n’était pas de battre ses potes sur Strava, mais de faire payer les feignants pour sa passion ? Alors oui, continuons de nous moquer, mais gardons l’idée quelque part dans un coin du cerveau : peut-être qu’un jour, pendant que d’autres achèteront leurs segments, nous, on les fera fructifier.
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