Troc Vélo : la fin d’une époque ?

Il fut un temps où Troc Vélo, c’était le passage obligé. On y passait des heures, à fouiner dans les annonces, à comparer des cadres, à dénicher une paire de roues légendaires ou un cintre oublié.

C’était un coin de web un peu artisanal, un peu « fourre-tout », mais terriblement vivant – un repaire de passionnés, avec cette ambiance forum des débuts du Net. Aujourd’hui, quand on y retourne, on a l’impression d’entrer dans un grenier où tout a changé de place. Le charme a disparu, la logique aussi. Et surtout… les cyclistes s’en vont.

Texte : Jeff Tatard – Photos : 3bikes.fr, troc-velo.com

Depuis le rachat, la pente est raide

Depuis son rachat par Alltricks, devenu filiale de Decathlon, Troc Vélo ne tourne plus rond. Officiellement, l’idée était belle : favoriser l’économie circulaire du vélo. En pratique, beaucoup ont le sentiment d’avoir perdu un espace libre et communautaire, avalé par la machine du commerce organisé.

Fred, utilisateur de la première heure, résume bien ce malaise : “Avant, je trouvais tout facilement. Maintenant, je passe plus de temps à chercher qu’à acheter. L’organisation est illisible, les filtres ne servent plus à rien, et tu tombes sur des doublons à la pelle.”

Difficile de lui donner tort. L’expérience utilisateur est devenue confuse. Entre les annonces professionnelles, les vélos reconditionnés, les « boosts » payants et les catégories en pagaille, on s’y perd. Et quand on finit par trouver un vélo intéressant, il est souvent à l’autre bout de la France, publié il y a trois mois.

Perdu dans les méandres de Troc Vélo, quelque part entre un cintre de 2009 et une annonce expirée.

Thierry peste contre un système à deux vitesses

Thierry, lui, n’a pas la langue dans sa poche. “Ceux qui payent pour mettre leur annonce en avant sont clairement favorisés. Les autres, on n’existe plus. Troc Vélo, c’est devenu une vitrine pour ceux qui ont les moyens de payer leur visibilité.”

Ce sentiment d’injustice revient souvent. À force de vouloir professionnaliser la plateforme, le site a perdu son esprit communautaire. On y trouve désormais plus de magasins et de vendeurs pros que de vrais particuliers. L’équilibre s’est rompu : Troc Vélo ressemble davantage à un catalogue géant qu’à un espace d’échanges entre passionnés.

Seb, lui, a tourné la page

Seb vend et rachète régulièrement du matériel. “Avant, je mettais mes annonces sur Troc Vélo et Leboncoin, pour multiplier les chances. Maintenant, je ne poste plus que sur Leboncoin. Je vends plus vite, sans bug, et j’ai dix fois plus de contacts.”

Difficile de lutter contre le rouleau compresseur Leboncoin, devenu la référence de la seconde main – même pour les cyclistes avertis. Interface claire, messagerie efficace, paiement sécurisé, visibilité nationale : le combo parfait. Et, paradoxalement, c’est sur Leboncoin que la vraie communauté d’occasion s’est reformée, avec ses codes, ses négos, ses trouvailles.

Sur Leboncoin, les bonnes affaires ne durent pas longtemps. Mais quand tu en tiens une, c’est Noël avant l’heure.

Un site spécialisé qui s’est banalisé

Troc Vélo avait pourtant un atout incomparable : sa spécialisation. Des rubriques précises, des fiches techniques détaillées, des annonces hyper ciblées.

C’était le repère des “geeks du braquet”, ceux qui savent reconnaître un moyeu Chris King à l’oreille ou qui débattent du filetage d’un boîtier de pédalier italien.

Mais aujourd’hui, le site donne l’impression d’avoir perdu son ADN. Entre la mise en avant des annonces “premium”, les vélos pros reconditionnés et l’interface datée, l’âme s’est diluée. Même le design semble coincé entre deux époques : ni vintage, ni moderne, juste fatigué.

L’effet Decathlon : opportunité manquée ?

Le rachat par Decathlon aurait pu donner des ailes à Troc Vélo : plus de moyens, plus de visibilité, plus de sécurité. Mais l’effet a été inverse. Beaucoup d’utilisateurs ont eu l’impression d’une récupération industrielle d’un espace passionné. Derrière les mots “seconde vie” et “économie circulaire”, certains voient surtout une stratégie commerciale visant à diriger les utilisateurs vers Alltricks ou les offres reconditionnées Decathlon.

“On a l’impression que Troc Vélo sert surtout de vitrine pour leurs produits, pas d’un lieu d’échanges neutre.” confie un professionnel du cycle. Ce n’est peut-être pas volontaire, mais la perception compte. Et dans un monde où la confiance est primordiale, la moindre ambiguïté fait fuir.

Un possible retour à la source ?

Tout n’est pas perdu. Troc Vélo reste une mine d’or pour qui cherche une pièce rare ou un vélo spécifique. La communauté existe encore, dispersée mais fidèle. Mais pour reconquérir son public, la plateforme devra retrouver la clarté, la neutralité et la convivialité qui ont fait son succès.

Un vrai lifting technique, une transparence sur les annonces sponsorisées, et surtout un retour à l’esprit d’origine : celui d’un troc entre cyclistes, pas d’un supermarché en ligne. Fred, encore lui, conclut avec justesse : “Si Troc Vélo veut exister, il doit redevenir ce qu’il a toujours été : un site de passionnés. Pas une page de pub déguisée.”

Le mot de la fin pour 3bikes.fr

Troc Vélo, c’est un peu le symbole d’une époque où Internet ressemblait encore à un atelier entre copains. Aujourd’hui, le marché du vélo d’occasion s’est industrialisé, et la passion a parfois laissé place à la performance – même dans les annonces.

Mais qui sait ? Peut-être qu’un jour, on retrouvera le plaisir de fouiner sur Troc Vélo comme on fouinait jadis dans une bourse au vélo. Avec un café à la main, sans se soucier des algorithmes, juste pour le plaisir de tomber sur la bonne occase.

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Olivier Dulaurent

- 49 ans. – Pigiste presse écrite et Internet depuis 2004, auteur de Le Guide du Vélo Ecolo (Editions Leduc, novembre 2020), Moniteur Brevet d’Etat Cyclisme, encadrant de stages cyclistes depuis 2005 et coach cycliste - Pratiques sportives actuelles : cyclisme route et VTT (occasionnelle : course à pied) - Strava : Olivier Dulaurent

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