Pierre Rolland, du panache des sommets à l’école de l’ultra

Au téléphone, sa voix sourit. Elle va vite, elle digresse, elle revient au cœur du sujet comme on se dresse soudain sur les pédales : « J’ai toujours été un coureur prêt à l’attaque, offensif, avec du panache. Ça ne s’efface pas. » Pierre Rolland n’a plus de dossard WorldTour, mais il garde le même logiciel : l’envie d’y aller, d’oser, d’apprendre. Son terrain de jeu a changé — plateaux télé, marathons, épreuves en autonomie —, pas sa façon d’habiter l’effort. Et sa devise tient en quatre mots qui l’ont suivi jusqu’aux réseaux : « Attaque de Pierre Rolland ». Il l’a même déposée, par pragmatisme autant que par malice. Le panache, réinventé.

Par Jeff Tatard – Photos : ©Bikingman, DR

Les commencements : un vélo de cyclo-cross et des pneus « les moins chers »

L’origine n’a rien d’un plan de carrière. Un copain de collège, licencié dans un club de route, l’embarque un mercredi : « Viens voir ». L’entraîneur prête un vélo… de cyclo-cross. Pierre goûte au VTT, puis à quelques cross, puis à la route — avec des pneus premier prix montés sur ce même vélo. Pas de filiation cycliste, pas de destin tracé : du bricolage, de la curiosité, du plaisir. Très vite pourtant, les codes s’impriment : la joie du progrès, la discipline du collectif, l’évidence des sensations. À 14-15 ans, il sait surtout qu’il aime ça et qu’il veut transformer l’envie en travail. Si le Pierre de 15 ans l’écoutait aujourd’hui, que lui dirait-il ? « Rien de plus que ce qu’il a fait : être courageux, s’entraîner, avancer. »

Minimalisme assumé : voyager léger, avec confiance comme ici dans le ciel marocain du BikingMan 555 Maroc.

Les années pro : sommets, manqués, et une signature offensive

On pourrait dérouler un palmarès, rappeler l’Alpe d’Huez, les échappées qui font lever du canapé, les grandes chevauchées au Giro. Mais ce qu’il retient d’abord, c’est une manière d’habiter la course. Attaquer quand tout calcule, imprimer du mouvement dans une époque de wattmètres : « J’avais envie de gagner et de m’amuser. Ce tempérament-là, tu ne le changes pas. »

Il n’a pas que des ritournelles victorieuses. Deux regrets marquent sa mémoire. D’abord, la Vuelta, « jamais abordée à 100 % », toujours dans la fin d’un cycle post-Tour : pas d’étape gagnée en Espagne, alors que le terrain lui convenait à merveille. Ensuite, le maillot à pois 2013  perdu la veille des champs Élysée, une nouvelle règle de points qui « désavantage les baroudeurs » et une valse des maillots qui le laisse sur sa faim. Les regrets ne sont pas des fardeaux chez lui : ce sont des aiguillons.

Quant à la formule devenue mème — « Attaque de Pierre Rolland » —, il a tout connu : l’agacement, le clin d’œil, l’autodérision. « Je préfère être associé à quelqu’un qui attaque qu’à un coureur économe. » Le sceau est posé.

Vélo Magazine n°498, juillet 2012 : Thomas Voeckler et Pierre Rolland en une, symbole du panache français sur le Tour.

Basculer sans s’éteindre : la transition vers le commentaire

La retraite se présente alors qu’il pourrait encore prolonger « sur des projets qui [ne lui] correspondaient pas ». Et surtout, la peur, nouvelle, s’invite en descente : « Ça va de plus en plus vite, tout le temps. » Il décide d’arrêter. Quelques heures après l’annonce, La Chaîne L’Équipe l’appelle. Vingt journées de prestation au contrat, quatre fois plus à l’arrivée tant l’évidence s’impose : Pierre est à l’aise à l’antenne. Il ne joue pas un rôle : il explique. Le plateau n’est pas un bus d’équipe, mais la mission se ressemble : lire la course, rendre visible l’invisible, transmettre sans jargon sur une chaîne généraliste.

Il refuse qu’on lui écrive sa « patte ». Le style, il l’apporte : précision technique, vécu de coureur et humour dosé — « on n’est pas une chaîne 100 % vélo ». Son duo avec d’autres consultants, notamment avec Christophe Riblon, crée une balance utile : l’un garde en muscles la sensation de l’effort actualisé, l’autre apporte une mémoire précieuse. Et sa pratique personnelle encore aujourd’hui, intense et moderne, nourrit ses analyses : cela évite, dit-il, « d’oublier que ça fait mal ».

Sur le plateau de l’Equipe 21 comme sur un col alpin : Riblon et Rolland savent qu’il faut toujours relancer l’allure.

Le besoin d’objectifs : tenir une vie qui avance

Arrêter la compétition, c’est perdre un métronome. Pendant quinze ans, l’existence avance d’objectif en objectif : Paris–Nice, le Tour, les Classiques, encore le Tour. Le calendrier rythme tout : l’hygiène de vie, les renoncements, la concentration. Après coup, le silence des carottes peut être assourdissant. Beaucoup le vivent. Pierre s’est trouvé un garde-fou simple : recréer des jalons désirés. Un semi, puis un marathon de Paris réussi (mieux que le semi, et ça compte), des sorties de nuit Lyon–Genève à 300 km, et surtout l’ultra : l’école patiente et obstinée des longues distances.

Il aime ce double bénéfice : l’objectif redonne une hygiène… sans contrainte. « Si des amis m’appellent pour dîner, j’y vais. Je ne me ferme plus. » L’entraînement structure, mais ne cadenasse pas. Et vient l’autre cadeau de l’endurance : l’introspection. En course à pied, il atteint vite le flow ; en vélo, il a besoin de centaines de kilomètres. Mais le résultat est le même : on se parle vraiment, loin du bruit.

Avant la tempête du désert : partager, expliquer, et sourire aux médias.

BikingMan 555 Maroc : apprendre à nouveau, à hauteur d’homme

Épreuve : 500 km, 8000 m D+, moins de 60 heures, autour de Marrakech, en autonomie. C’est le BikingMan 555 Maroc, format gravel lancé par BikingMan (championnat d’ultracyclisme fondé par Axel Carion), programmé du 19 au 21 septembre 2025. C’est surtout le laboratoire idéal pour un « ancien de la route » qui veut désapprendre ce qu’il sait et réapprendre ce qu’il ignore. « Le plus dur, c’est de s’inscrire, dit-il. Après, tu respectes ta préparation, tu fais les bons choix de matériel et de nutrition, et le jour J, tu profites. »

Sauf que l’ultra aime rappeler que la confiance se gagne. Au 20ᵉ kilomètre, l’ancienne habitude des chemins « comme à la maison » le rattrape : il arrive trop vite dans une ornière, pneu arrière abîmé, mèche, CO₂, doigts collés de résine. Rien de grave, tout à apprendre. « Je me suis immédiatement dit : va falloir rouler pour de bon, propre, régulier. En ultra, si tu saccages ton matériel, t’es mort. » Paradoxalement, être parti dans les derniers lui offre un cadeau : croiser tout le monde, sourire, encourager, prendre la mesure humaine de la caravane.

Le tubeless parle en silence : chaque geste compte, surtout avant 500 km d’ultra.

L’équipement ? Minimaliste, presque par esprit de défi. Chaussures de route sur gravel (il avait lu le terrain — peu de portage attendu), sacoches légères. Morale de l’histoire : la prochaine fois, il s’entraînera chargé, longtemps, parce que le vélo avec 5–8 kg d’emport, ce n’est plus le même vélo ; le dos, les épaules, les mains disent la vérité. Autre détail qui n’en est pas un : le tubeless raconte ses miracles en silence. À la maison, en changeant ses pneus, il voit les petites boulettes de latex causées par le liquide préventif, autant de crevaisons évitées. C’est ça, l’ultra : une somme de petites intelligences concrètes.

Dossard 1071 de ce BikingMan 555 Maroc, seul dans la nuit marocaine : l’ultra ne trace pas seulement une route, il ouvre aussi à un dialogue avec soi-même.

Et puis, au-delà de la technique, il y a le pacte. Il l’explique sans pathos : quand on s’aligne, on engage des gens — les marques qui accompagnent, l’organisation qui fait confiance, BikingMan qui ouvre la porte, le média qui attend un récit. On se doit alors d’être sérieux sans se prendre au sérieux : faire les choses proprement, laisser le terrain te transformer, revenir grandit.

BikingMan 555 Maroc (19–21 septembre 2025)
500 km — + 8000 m — 60 h max — autonomie — Marrakech / Haut Atlas (col de l’Oukaïmeden, > 3000 m).

Un format gravel pensé pour le voyage sportif, la régularité, l’autonomie et l’émerveillement. BikingMan, porté par l’explorateur Axel Carion, fait grandir cette culture du dépassement respectueux des territoires.
Site internet : www.bikingman.com

 

Seul face à l’horizon : quand l’ultra devient un dialogue intime.

La communauté gravel : moins de watts, plus de liens

Il aime cette sociabilité différente. Sur route, chacun pour soi ; en gravel, on s’attend, on répare ensemble, on se sourit. On peut venir pour la perf, bien sûr, mais la grammaire dominante est ailleurs : partager le chemin, assumer les imprévus, changer de rapport aux chiffres. « Il y a moins l’empilement des métriques qui saturent l’écran. Et surtout, il y a de la place pour tous les niveaux d’engagement. » Le gravel, dit-il, c’est le vélo ultime : on peut aller au boulot, sauter un trottoir, rouler sur une voie verte, accrocher une sacoche, ou s’aligner sur un championnat. La polyvalence comme principe actif.

Quelques kilomètres partagés, un supplément d’énergie inestimable.

Là encore, le réalisme n’est jamais loin. Aux jeunes tentés par une carrière full gravel, il rappelle la vérité économique du moment : les belles images ne paient pas toujours les factures. « Avant d’attirer des marques, il faut du temps, des résultats, une communauté. Et on ne gagne pas sa vie aussi sûrement qu’en WorldTour. » Un message responsable — la liberté coûte, et c’est très bien si on l’assume.

Sur ce BikingMan Pierrot roule moins pour les watts que pour les rencontres : ici, la performance se mesure autant aux sourires croisés qu’aux kilomètres avalés.

Le média par la simplicité : des vidéos qui donnent envie de rouler

Sur les réseaux, ses capsules pédagogiques séduisent parce qu’elles respirent l’atelier et la sortie du dimanche. On y parle pressions, pneus, mèches, petites boulettes de latex, choix des braquets, chaussures — et on chambre gentiment une paire de chaussettes trop hautes. Rien à vendre : « Je partage ce qui m’a manqué quand j’étais jeune. Les retours me donnent envie de continuer. » Vulgariser n’est pas simplifier : c’est traduire une expertise en gestes accessibles. À la télé comme en vidéo, le fil est le même : faire aimer le vélo en le rendant moins intimidant.

Ce que l’ultra rebat : confiance, patience, lucidité

Au 555, il a surtout appris à remettre du temps long. S’inscrire, préparer, ne pas brûler son matériel, accepter que le bon rythme est celui qui te mène droit, longtemps. Ne pas fantasmer le mythe de la souffrance pure : l’ultra récompense le soin — du corps, de l’alimentation, du sommeil volé quand c’est possible, de la mécanique. Et mentalement ? « Oui, j’ai douté ; c’est normal. Mais le doute, mieux vaut l’avoir au départ que dans les 20 derniers kilomètres. » Une phrase d’ultra, ça : ranger l’orgueil, écouter le terrain, laisser le voyage faire son œuvre.

Le vrai luxe de l’endurance : voler quelques minutes de sommeil.

Demain : allonger la focale

Il a la tête bien pleine de projets, sans s’enfermer. Un vrai BikingMan 1000, sur un territoire inconnu — Maroc version 1100 km, la Corse, le Brésil : « Sortir de la zone de confort, voir grand et exotique. » Bordeaux–Paris, relancé par un organisateur qu’il connaît, le titille. Un marathon sous les 3 h (il a le moteur, l’appétit, et la capacité à structurer sa préparation). Un Ironman, pour la joie des disciplines qui se rencontrent. Un ultra-trail un jour — l’UTMB, la Diagonale des Fous —, pourquoi pas ? Il rit : « La liste est longue. » On entend surtout qu’elle est vivante.

Autre défi… autre registre… 3h10 au marathon de Paris 2025 : pas encore sous les 3 heures, mais pour un premier essai sans vraie préparation, cela ressemble déjà à un exploit… et à une promesse.

Commenter en restant coureur

Ses semaines s’écrivent entre plateau et pistes, entre casque-micro et casque de vélo. Ce ruban continu crée une qualité rare : ne pas oublier. Ne pas oublier le vent qui use, l’épaule qui tire, la fringale qui rampe, la peur qui grippe en descente. À l’antenne, ça s’entend. Il ne “surplombe” pas la course, il y retourne avec les mots. Et sa pratique moderne — gravel, autonomie, tests de matériel — garde les capteurs branchés sur ce que vivent les cyclistes d’aujourd’hui, pros comme amateurs.

Une phrase pour résumer ?

Quand je lui demande la sentence finale, il rit, puis ne détourne pas la balle : « Toujours d’attaque. Attaque de Pierre Rolland. » Il n’y a ni nostalgie ni posture. Juste l’idée simple que l’élan est un choix quotidien. On peut quitter le WorldTour, on ne renonce pas à l’allant. On change le décor, pas le verbe. On passe du maillot à pois rêvé au dossard autocollant d’un 555, d’une pente mythique à un col de l’Oukaïmeden qui te prend à la gorge à 3000 m, des watts au silence d’une nuit dans le désert. On apprend d’autres gestes — poser une mèche proprement, emporter un coupe-vent, lire une piste —, on retrouve les mêmes joies : l’attaque, encore, mais à la bonne allure.

Quitter le WorldTour sans quitter l’élan : sur son vélo, Pierre Rolland reste fidèle à sa devise — toujours d’attaque, mais désormais à la bonne allure.

BikingMan voulait qu’on cite son nom : le voilà, au bon endroit. Parce qu’au fond, BikingMan 555 Maroc n’est pas un trophée de plus sur une étagère. C’est un chapitre charnière : celui où Pierre, l’attaquant des Alpes, réapprend à gagner autrement. Gagner quoi ? Rien qu’un maillot de finisher et surtout : des histoires qui restent — et c’est beaucoup. Gagner l’envie de remettre ça, plus loin, plus longtemps. Gagner ce qu’on gagne quand on ne marque pas le monde d’un palmarès, mais de traces.

Alors oui, Rolland est consultant sur L’Équipe 21, créateur de contenus, ambassadeur, coureur à pied du dimanche très sérieux, ultra-curieux de longue distance, père de petites vidéos qui apprennent à gonfler un tubeless et à sourire d’une chaussette trop haute. Il est surtout ce qu’il aime faire, et cela s’entend.

La scène finale pourrait être simple : fin d’après-midi, Marrakech exhale sa chaleur, la “ville rouge” rougeoie vraiment. Il resserre une sangle de sacoche, jette un œil au ciel qui bascule, pense à l’Oukaïmeden qui l’attend dans la nuit. Rien d’héroïque, rien de théâtral. Le geste juste : partir à la bonne allure, prendre ce que la route donne, rester d’attaque. Et apprendre encore.

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