Tadej Pogacar : admiration ou lassitude ?

Il y a quelque chose d’irrésistible chez Tadej Pogacar. À peine 27 ans, et déjà un palmarès qui défie l’imagination : Tours de France, Giro, classiques monumentales, championnats du monde… rien ne lui résiste. Hier encore, à Kigali, il a offert une nouvelle démonstration : une attaque lancée à plus de 100 kilomètres de l’arrivée, une course pliée avant même la flamme rouge, et une victoire en solitaire qui a laissé la concurrence impuissante. Et nous on est restés sur notre faim.

Par Jeff Tatard – Photos : instagram.com/uae_team_emirates, instagram.com/wahoofitnessofficial

On pourrait en rester là, et se contenter d’admirer. Car oui, il y a une grâce chez Pogacar. Une manière d’attaquer loin de l’arrivée, de courir comme si la peur n’existait pas. Il n’économise pas, il ne calcule pas — il joue, il s’amuse, il détruit. C’est un champion total, sans équivalent dans le cyclisme moderne. Comparer avec Merckx n’est pas un abus : Pogacar évolue dans une époque où la concurrence est mondiale, les méthodes scientifiques, les équipes suréquipées. Et malgré cela, il survole.

Alors, faut-il dire qu’il est déjà plus grand que le « Cannibale » ? La question mérite d’être posée.

Mais voilà : cette grandeur a un prix. Et ce prix, c’est le suspense. Hier à Kigali, le doute a disparu dès son attaque, bien trop tôt pour que la dramaturgie puisse exister. Les adversaires ont couru pour limiter la casse, les spectateurs se sont résignés à attendre le podium. La dramaturgie du sport repose sur l’incertitude, sur ce vertige du tout peut arriver. Pogacar, en dominant à ce point, nous en prive. C’est beau, mais c’est plat. Magnifique, mais prévisible.

Alors, que ressent-on vraiment devant lui ? Un mélange étrange : admiration pure et légère lassitude, voire de la suspicion. On applaudit l’exploit, mais on regrette l’absence de tremblement. Pogacar nous donne tout — la puissance, l’audace, la générosité de l’effort — sauf ce frisson-là : le doute. Ou du moins pour certains observateurs, c’est sa domination qui inspire le doute, et non plus la glorieuse incertitude du sport. Au-delà du cynisme des commentaires, Tadej Pogacar ne risque-t-il pas de détourner le public des courses cyclistes profesionnelles ?

Peut-être est-ce injuste. Après tout, le champion n’a pas à se limiter pour ménager nos émotions. Et peut-être que dans dix ans, nous repenserons à ces saisons comme à un âge d’or, en nous disant que nous avons eu la chance de voir rouler, en direct, l’un des plus grands coureurs de tous les temps. Mais pour l’instant, la domination de Pogacar nous met face à une contradiction intime : nous rêvons d’un héros invincible, et lorsqu’il se présente, nous finissons par regretter l’imprévisible.

Voilà, sans doute, la marque des très grands : ils ne nous laissent jamais indifférents.

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Jean-François Tatard

- 44 ans - Athlète multidisciplinaire, coach en vente et consultant sportif. Collaborateur à des sites spécialisés depuis 10 ans. Son histoire sportive commence quasiment aussi vite qu’il apprend à marcher. Le vélo et la course à pied sont vite devenus ses sujets de prédilection. Il y obtient des résultats de niveau national dans chacune de ces deux disciplines.

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