Partager la publication "Dans la roue impossible de Samuel Plouhinec"
Il y a des coureurs que l’on peut suivre. D’autres que l’on peut espérer accrocher dans la bonne échappée. Et puis il y a ceux, plus rares, qui obligent à reconsidérer la notion même de vitesse… Samuel Plouhinec appartient à cette dernière catégorie. Nous avons tenté, un instant, de nous glisser dans son sillage. Mais très vite, le constat s’est imposé : impossible. À la place, nous avons préféré nous arrêter, poser pied à terre et l’écouter. Parce qu’avec lui, la route est encore plus passionnante quand elle se raconte que lorsqu’elle se défile à 50 km/h.
Par Jeff Tatard – Photos : DR
Quand on demande à Samuel quel est son tout premier souvenir de coureur, il ne cite ni une grande classique ni un peloton professionnel, mais une première victoire en minime à Coudreucieux. C’est là que tout commence. Une ligne d’arrivée modeste, mais déjà ce goût unique : lever les bras, franchir avant les autres, ressentir cette ivresse simple. « Ma première victoire, dit-il, en minime. C’est là que tout s’est déclenché. »
Le cyclisme est parfois résumé à une histoire de chiffres — 409 victoires dans son cas —, mais c’est en réalité une succession de balises intimes, de jalons invisibles. Pour Samuel, ce jalon initial reste fondateur. À Coudreucieux, il a trouvé plus qu’une victoire : une certitude.
L’éveil des juniors
Deux années suffirent pour transformer cette évidence en projet de vie. En junior, Samuel découvre qu’il n’est pas seulement rapide, il est vraiment doué. « C’est à cette époque que j’ai pris conscience que j’avais des capacités. J’ai commencé à espérer en faire mon métier. Même si, depuis gamin, je répétais déjà que je voulais devenir coureur professionnel. »
Ce « je veux en faire mon métier » n’est pas une formule. Pour un jeune de Sarthe, c’est un horizon immense. Loin des stars télévisées, il s’imagine déjà une vie de sacrifices, de déplacements, de chutes, mais aussi de combats gagnés au panache. L’enfant rêveur devient un jeune homme en route vers une destinée.
Le mur du professionnalisme
Et pourtant, ce rêve s’accompagne d’un prix brutal. Dans le monde professionnel, la lumière est aussi aveuglante que cruelle. Plouhinec y découvre une réalité froide : « Chez les pros, tout est millimétré, la pression est constante, et il n’y a pas de place pour l’erreur. »
Ses deux premières années chez Cofidis suffisent à condenser la dureté de ce milieu. La mononucléose qui efface une saison entière. Puis, à peine remis, un accident dramatique : fauché par une voiture juste avant le Tour de l’Ain. Fractures, tassement cervical, rééducation interminable. Et, comme si cela ne suffisait pas, le silence glaçant des dirigeants. Plus de contrat. Plus de nouvelles. Plus rien.
« Le seul à prendre de mes nouvelles, raconte-t-il, c’était Cyrille Guimard, celui qui m’avait fait signer. » Dans la solitude d’un coureur blessé, ce geste compte plus que n’importe quel podium. Samuel le sait : dans ce milieu, on est jugé au résultat du moment, jamais à la personne.
La revanche de l’amateur
Alors il revient là où il se sent vraiment vivant : le monde amateur. « En amateur, dit-il, il y a plus de liberté, de passion brute, et surtout une vraie camaraderie. » Là , Plouhinec n’est plus un numéro sur un contrat : il est un coureur qui gagne, qui respire, qui incarne la persévérance.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 409 victoires, dont 29 sur la seule saison 2011. Le record d’un insatiable. « Je n’avais pas de secret. J’étais un gagneur. J’aimais courir, partout, tout le temps. » Champion de France Espoirs à Apremont en 1996. Champion de France Élite à Saint-Brieuc en 2009 — son plus beau souvenir. « C’est la course que tout le monde rêve de gagner. Pour moi, c’était l’aboutissement. »
Chaque maillot, chaque bouquet, chaque circuit départemental devient un chapitre de ce palmarès hors norme. Mais derrière les chiffres, il y a surtout un style : instinctif, offensif, généreux. Plouhinec ne calcule pas. Il attaque, il flaire les coups, il ose. Son vélo est un prolongement de sa volonté.
Le mental, l’autre moteur
Mais sa carrière est aussi jalonnée de fractures. Au sens propre comme au figuré. De chutes et de retours au haut niveau. Samuel Plouhinec n’a jamais trainé au fond du peloton.
Comment revient-on de tant de blessures ? Comment garde-t-on cette rage après des fractures, des genoux cabossés, des saisons blanches ? Samuel baisse les yeux, réfléchit, puis dit simplement : « Je ne sais pas trop… J’ai toujours réussi à garder le moral. Je n’ai jamais vraiment douté. »
Ce n’est pas une posture. C’est une vérité brute. Là où d’autres sombrent, lui persiste. Parce que pour lui, rouler, c’est respirer. Sa force n’est pas seulement dans ses jambes, elle est dans ce refus absolu de céder à la fatalité. C’est la résilience incarnée.
Le vélo aujourd’hui
En 2017, Samuel tourne la page de la compétition. Sans fracas. Sans vide non plus. « Je m’y étais préparé, je n’ai pas ressenti de manque. » Dès la fin de carrière, il se plonge dans l’immobilier, aux côtés de sa femme. Une transition maîtrisée, sans heurts. Mais le vélo reste là . Pas comme un métier, mais comme une joie retrouvée. « Aujourd’hui, c’est du plaisir. Je roule plusieurs fois par semaine, avec des copains, avec mon fils Evan. C’est un bonheur de partager ça avec lui. »
Evan, 14 ans, commence à montrer de belles dispositions. Petit gabarit, mais déjà le coup de pédale du père. Alors Samuel repart parfois sur les compétitions Masters, poussé par son fils qui voulait le voir courir de ses propres yeux. Le cercle est bouclé : l’enfant de Coudreucieux est devenu le père de famille qui transmet la passion.
Le passeur de témoin
Car Samuel n’a jamais coupé le lien. Il encadre les jeunes de Brette-les-Pins, conseille, guide, transmet. Dans son discours, un mot revient souvent : simplicité. « Aujourd’hui, les jeunes ne veulent plus courir les petites épreuves locales. Pourtant, c’est là qu’on apprend. Si on les délaisse, les organisateurs se découragent, et tout un vivier disparaît. »
Ses mots sonnent comme une alerte, mais aussi comme un rappel : le cyclisme n’est pas seulement fait de grandes scènes télévisées. C’est un sport qui se nourrit d’anonymes, de courses de village, de bénévoles passionnés. Sans cette base, aucun champion ne peut éclore.
Le regard sur le cyclisme moderne
Il observe, lucide, l’évolution du peloton. « Le niveau est homogène, les jeunes arrivent très tôt, avec une maturité incroyable. Mais ils paient un prix mental énorme. Leur carrière sera peut-être plus courte que la nôtre. »
Ce constat, il le formule sans nostalgie excessive. Juste avec une clarté nourrie par l’expérience. Lui, l’instinctif, le généreux, sait que le cyclisme moderne, ultra-millimétré, laisse peu de place au plaisir brut. C’est sans doute ce qui explique qu’il ait préféré, toujours, le monde amateur.
Philosophie d’un gagneur
Si Samuel devait écrire un mot sur un maillot pour un jeune, ce serait : « Sois convaincu de ce que tu fais, et fais-le à fond. » Toute sa carrière tient dans cette phrase. Il n’a jamais fait les choses à moitié. Ni les entraînements, ni les retours de blessure, ni les saisons pleines. Ce jusqu’au-boutisme n’est pas de l’acharnement vain, mais une manière d’être au monde.
« Ma philosophie ? Aller au bout de ce que j’entreprends, avec passion et conviction. » Voilà la ligne d’arrivée d’une vie. Pas un drapeau à damiers, mais une attitude, une fidélité à soi-même.
Dans sa roue, encore
Alors, qu’avons-nous trouvé, en essayant de prendre sa roue ? Nous n’avons pas trouvé un coureur que l’on peut suivre. Nous avons trouvé un homme qui roule toujours un peu plus loin que nous. Mais surtout, nous avons trouvé un récit d’une intensité rare : celle d’un champion qui a su rester humain, qui a gagné par centaines sans jamais perdre l’essentiel.
Sa trace n’est pas seulement dans les palmarès, mais dans les routes qu’il continue de parcourir, dans les jeunes qu’il accompagne, dans son fils qu’il guide. Samuel Plouhinec n’est pas un ancien champion : il est encore, aujourd’hui, une leçon vivante de persévérance. Et si l’on ne peut pas tenir sa roue, on peut au moins retenir ses mots, les garder comme un viatique : croire, persévérer, attaquer, transmettre. Parce que certains hommes pédalent trop fort pour être suivis, mais assez vrai pour être écoutés.
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bravo pour cette belle évocation d’un grand champion toujours en activité.