Partager la publication "Steve Chainel : un champion cabossé, solaire et sans filtre"
Il nous a accueillis comme il parle : sans détour, avec un sourire franc et une énergie brute. Grâce à l’entremise d’Anthony Colas, nous sommes entrés dans l’univers de Steve Chainel. Ce jour-là, il ne s’agissait plus seulement d’anecdotes croustillantes ou de commentaires savoureux. C’est toute une vie qu’il nous a déroulée : l’enfance modeste, les galères, les victoires, les blessures intimes, les amitiés indéfectibles, l’humour comme bouclier, et cette liberté qu’il revendique haut et fort. Ce portrait, c’est celui d’un champion atypique, cabossé et solaire, qui n’a jamais triché ni sur le vélo ni dans la vie.
Par Jeff Tatard – Photos : DR
On connaissait sa voix gouailleuse de consultant Eurosport, son duo irrésistible avec Jacky Durand, ses punchlines qui font marrer autant les puristes que ceux qui n’ont jamais pédalé plus de dix minutes. On avait découvert son naturel dans la série Netflix Tour de France : Unchained. Mais ce qu’il nous a livré ce jour-là, c’est bien plus qu’un témoignage sportif : c’est une vie entière, pleine de cicatrices et de rires, racontée sans filtre. À travers ses mots, parfois tendres, parfois durs, on retrouve le portrait d’un coureur atypique, d’un homme qui n’a jamais fait semblant. Un récit brut, intelligent et émouvant, qui ressemble à Steve.
Les racines modestes
« Je suis venu au vélo par pur hasard », attaque Steve avec son franc-parler habituel. Pas de récit enjolivé, pas de storytelling fabriqué : simplement un gosse de sept ans qui déborde d’énergie et qu’on emmène devant une école de vélo à Saint-Etienne-les-Remiremont. « Mon père m’a dit d’essayer. J’ai terminé troisième de ma première course. Et j’ai pris le virus direct. »
Le décor familial est posé : père peintre, mère nourrice, pas un sou de côté. « On roulait pas sur l’or. Chez moi, c’était plutôt prévu que je fasse du foot. Personne dans ma famille ne faisait du vélo. » Mais l’enfant accroche, et la passion devient une évidence.
Il apprend vite à bricoler avec rien. « J’étais le seul avec un vélo sans vitesses, un mono-vitesse que le club m’avait prêté. Les autres gamins avaient déjà des cales-pieds, moi j’étais en pédales plates. Mais ça ne m’a pas empêché de m’éclater. » Son père rafistole les pneus pour les courses de cyclo-cross. Avec ses deux sœurs et son frère, il grandit dans une fratrie où les valeurs sont simples : partage équitable, solidarité. « Si on donne 1000 à toi, on donne 1000 à ton frère, 1000 à ta sœur. Donc fallait apprendre à se débrouiller. » Cette enfance modeste forge un trait indélébile : la débrouille comme moteur, et l’envie de prouver qu’avec peu, on peut faire beaucoup.
La révélation du cyclo-cross
L’amour pour le cyclo-cross ne vient pas d’un choix calculé mais d’une rencontre. En 1993, Steve a dix ans. À quelques kilomètres de chez lui, une fête est organisée pour célébrer le titre mondial de Dominique Arnould, nouveau champion du monde. « Je lui ai demandé un autographe. Pour moi, c’était une star, mon modèle. Et là je me suis dit : c’est ça que je veux faire. »
À partir de ce jour, le vélo prend une couleur particulière. Pas la route, trop aseptisée, trop froide. Mais le cross : une discipline viscérale, intense, où l’effort ne connaît pas de répit. « C’était à fond du début à la fin. Y avait de la technique, de la course à pied, du pilotage. Tout ce que j’adorais. » Et il y avait l’ambiance. « Le cross, c’est franchouillard, à la bonne franquette. Tu croises tout le monde, tu t’échauffes au bord du terrain. Ça n’a rien à voir avec la route où tout est cadré, verrouillé. »
Les années de galère et la pression
Talentueux mais fragile, Steve apprend vite que le vélo est un sport de patience et de douleurs. En 2006, il sort des rangs espoirs et termine 4e du championnat du monde élite, derrière Erwin Vervecken, Bart Wellens et Francis Mourey. Une performance énorme, mais qui devient un fardeau. « Tout le monde attendait que je confirme. Que je devienne champion de France pour valider cette place. » Mais lui ne gère pas la pression. « J’avais peur du regard des autres, peur de mal faire. Je me suis chié dessus sur tous les championnats de France. »
Les années passent, les occasions s’échappent. Steve gagne des courses, brille parfois sur la route — Paris-Roubaix, Tour des Flandres, Milan-San Remo — mais le titre national en cyclo-cross lui échappe encore et encore.
2018 : sacré au milieu du chaos
Il faudra attendre douze ans pour que la malédiction tombe. Le 14 janvier 2018, à Quelneuc, Steve décroche enfin le titre de champion de France élite. Mais le contexte est terrible. « J’étais en plein divorce. Je voyais mes enfants une semaine sur deux. J’étais au fond du trou. » Cette douleur devient paradoxalement sa libération. « J’en avais rien à foutre du regard des autres. J’étais détendu. Et c’est comme ça que j’ai gagné. »
Pas d’entraînement acharné, pas d’obsession. Juste un homme vidé, mais libéré. « C’était un mélange de délivrance et de tristesse. J’aurais aimé vivre ce moment dans d’autres conditions. Mais mes parents étaient là, mes enfants aussi. Ça valait tout. »
Les amitiés, les amours, les enfants
Sa carrière est aussi une histoire de rencontres. Julien Belgy, Francis Mourey, John Gadret… « Ce sont des vrais amis. Des mecs avec qui j’ai construit des souvenirs indélébiles. » Et puis il y a eu Lucie, grande championne elle aussi. Steve la rencontre à 17 ans. Ensemble, ils partagent leur jeunesse, leurs podiums, leurs galères, et la vie de famille. « C’était incroyable de vivre ça en duo. On se tirait vers le haut. » Leur histoire s’achève en 2017, mais leurs enfants prennent déjà la relève. « Mon fils marche fort en cyclo-cross. Je suis fier, mais je veux surtout qu’il s’éclate. La génétique, c’est bien, mais ça ne suffit pas. » Sa fille, elle, brille en athlétisme. « Je donnerais ma vie pour eux. Leur bonheur passe avant tout. »
L’humour comme armure
Le public connaît Steve pour son humour. Un mot d’esprit, une vanne au moment juste. Mais derrière le clown se cache un mécanisme de survie. « C’est ma manière d’évacuer la pression. J’ai toujours détesté les conflits. »
Il raconte les galères devenues drôles. Comme ce Milan-San Remo 2013, neutralisé par la neige : « J’ai voulu jouer les syndicalistes. Avec le recul, j’étais juste un sacré petit con. » Ou encore le passage culte par Moncuq, en direct sur Eurosport : « J’avais préparé toutes mes vannes. On s’est tapé un fou rire énorme. » Cet humour, il le tient de sa famille. « Mon père était toujours en train de raconter des blagues. Et mon grand-père, qui était handicapé, me répétait : Steve, t’as de la chance, tu peux marcher. Quand tu grandis avec ça, tu relativises tout. »
La reconversion télé et le duo avec Jacky
Quand sa carrière s’achève, Steve ne prévoit pas de devenir consultant. Mais Patrick Chassé lui propose un test. Puis Eurosport l’appelle. Le duo avec Jacky Durand naît presque par accident. « J’étais fan de Jacky depuis toujours. Et dès la première course ensemble, c’était comme si on se connaissait depuis vingt ans. » Leur complicité fonctionne parce qu’elle est naturelle. « Jacky apporte l’expérience, moi la fraîcheur. Et on ne fait jamais semblant d’être d’accord. » Le public adore, les réseaux s’enflamment. Le consultant est né.
L’effet Netflix
En 2023, la série Tour de France : Unchained propulse Steve dans une autre dimension. « Je suis plus connu comme consultant télé et “le gars de Netflix” que comme ancien champion. » Il découvre un nouveau public : plus jeune, plus large, parfois totalement étranger au vélo. « Certains viennent me voir en disant : t’étais trop fort sur Netflix. Alors que j’apparais 20 secondes par épisode ! » La notoriété, il l’accueille avec recul. « Dans le sport, un athlète est oublié trois mois après sa retraite. Grâce à la télé et Netflix, je reste visible. »
Épilogue : fiertés et cicatrices
Aujourd’hui, Steve regarde son parcours avec lucidité. « J’ai parfois fait le strict minimum. J’aurais pu bosser plus, aller plus loin. Mais je n’ai aucun regret. » Il évoque aussi l’équipe qu’il avait créée, avec passion mais sans protection. « J’y ai laissé des plumes, de l’argent, du mental. J’ai donné sans compter, parfois pour être déçu. » Mais il conclut avec sérénité. « Je suis fier de mes enfants, fier de ma compagne, fier de qui je suis devenu. Je sais d’où je viens. Et j’ai appris à être en phase avec ça. »
Puis il lâche une phrase qui résume tout : « Je déteste la prétention. Mais il faut le dire : je ne suis pas n’importe qui. J’ai un parcours, des cicatrices, des réussites. Et surtout, j’ai une chance énorme : me lever chaque matin, voir mes enfants, rigoler, et me dire que le reste n’est que secondaire. »
Steve Chainel, c’est une trajectoire cabossée : bricolage, doutes, joies immenses et fous rires mémorables. Un coureur qui n’a jamais voulu se prendre trop au sérieux. Et qui, par ce mélange unique de sincérité et d’humour, a su toucher un public bien plus large que celui des seuls passionnés. Ce récit est celui d’un champion atypique, devenu une voix familière, un visage aimé. Et s’il fallait résumer son style en trois mots, il l’a déjà fait lui-même : pertinent, drôle et un brin naïf. Tout simplement Steve.
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