Partager la publication "Glucides à gogo : la recette miracle de l’endurance en question"
Avaler 90 à 120 g de glucides par heure est la nouvelle tendance dans les sports en endurance et dans le cyclisme en particulier pour réaliser des performances. Mais entre gains de quelques watts pour les pros et effets méconnus sur la santé, cette surconsommation interroge. Peut-on vraiment rouler plus vite en consommant plus de sucre sans compromettre son métabolisme à long terme ?
Par Guillaume Judas – Photos : depositphotos.com
Ces derniers temps, une nouvelle injonction nutritionnelle a émergé dans le monde des sports d’endurance : consommer 90 à 120 g de glucides par heure pendant l’effort pour optimiser ses performances. Une approche qui vient en parallèle de la hausse des performances des athlètes de haut niveau, que ce soit en cyclisme ou en course à pied. Chaque année, des records tombent, et dépassent ceux qui ont été établis lors des grandes années du dopage.
Ces résultats interrogent forcément, d’autant plus que cette tendance s’observe même sur de grandes cyclosportives, ou sur des épreuves d’ultra-endurance. Elle fait la part belle aux marques de produits énergétiques qui promettent d’excellents résultats sous forme de gels et autres topettes hyper concentrés avec leur formulation optimisée et un côté pratique indéniable, mais vendus à 120 € le kg.

Mais cette recommandation de consommer autant de sucres à l’effort, souvent présentée comme révolutionnaire, soulève des questions. Est-elle adaptée à tous ? Quels sont ses impacts sur la santé à long terme ? Les cyclistes amateurs n’ont-ils pas intérêt à adopter une stratégie alimentaire cohérente et respectueuse de leur santé ?
Une succession de dogmes nutritionnels au cours des années
Les recommandations nutritionnelles en sport d’endurance ont souvent oscillé entre les extrêmes. Dans les années 1980, un régime avec 70% de glucides lents (pâtes, riz, semoule…) était populaire. Sur de grandes épreuves de masse (cyclosportives, marathon et triathlon), la fameuse pasta party de la veille au soir était très répandue. Cette méthode consistait à consommer de grosses quantités de féculents la vielle au soir d’une course de longue distance pour espérer prendre le départ du lendemain avec le maximum de glycogène (super carburant de l’effort) stocké dans le foie et les muscles.
Le régime dissocié scandinave était aussi à la mode pour les grands objectifs, en alternant privation les premiers jours de la semaine et surcharge glucidique à l’approche de la course.
Dans les années 2010, c’est une autre mode qui s’impose, avec au contraire une privation de glucides, proche du régime cétogène. L’objectif de ce type d’alimentation est de stimuler la combustion des graisses (lipolyse) pour préserver le glycogène et repousser le niveau d’endurance. Lors de certaines phases d’entrainement, les athlètes s’imposaient de longues sorties en ne consommant que des protéines et des lipides (un peu comme la période de privation du régime dissocié scandinave), ne réservant un apport glucidique que pour la course.
Heureusement, ces dogmes alimentaires finissent souvent par être remis en question face aux réalités physiologiques et aux effets à long terme sur la santé physique… et mentale.
Une stratégie critiquable
Depuis le début des années 2020, c’est une autre tendance qui s’impose : la consommation de fortes quantités de glucides juste avant, pendant et juste après l’effort. Voir des coureurs professionnels piocher sans compter dans des gros paquets de bonbons en montant dans le bus juste après l’arrivée d’une étape du Tour de France a de quoi surprendre, peu de temps après le règne de Chris Froome et son régime saumon-avocat.
Nous pouvons le voir dans cette vidéo Youtube de Remco Evenepoel, qui nous parle de son repas avant un contre-le-montre, où il consomme… un demi-litre de Fanta (à 16 minutes environ) !
De récentes études (observationnelles pour la plupart), souvent relayées par l’industrie des produits énergétiques, valident la consommation de 90 à 120 g de glucides par heure. Par exemple, Podlogar et al. (2021, Sports Medicine) montrent que ces apports élevés peuvent améliorer la performance lors d’efforts prolongés en maintenant les réserves de glycogène, mais uniquement chez les athlètes entraînés ayant habitué leur système digestif.
Mais ces bénéfices sont mesurés sur des durées courtes, sans évaluer les conséquences à long terme sur la santé métabolique ou cardiovasculaire. Il n’existe à ce jour aucune étude sur les effets à long terme de ce type de surcharge glucidique. Bien que les risques soient atténués par le contexte de la consommation de sucres au cours d’un effort, on ne connait pas l’état de la santé des athlètes qui carburent au super dans quelques années.
Les risques d’une surconsommation de glucides
Consommer 90 à 120 g de glucides par heure, c’est presque comme ingérer l’équivalent d’un litre de soda toutes les 60 minutes (Stéphane Cascua, docdusport.com). Lors du dernier Tour de France, Kevin Vauquelin, 7e du classement général, révélait même dans l’émission Vélo Club s’être entraîné à absorber jusqu’à 150 g par heure. Un cas extrême pas forcément représentatif. Mais chez les athlètes d’élite, de tels apports peuvent provoquer des glycémies élevées (1,8 à 2 g/L), proches des seuils diabétiques (Stéphane Cascua, docdusport.com).
Une consommation répétée de sucres simples (gels, boissons énergétiques) peut surcharger le système digestif, augmentant à long terme le risque de troubles chroniques, comme le syndrome de l’intestin irritable ou une sensibilité au fructose. Selon Podlogar et al. (2021, Sports Medicine), absorber tant de glucides nécessite un entraînement digestif préalable, souvent inaccessible aux amateurs, ce qui accroît ces risques. De plus, une alimentation déséquilibrée, pauvre en antioxydants (vitamines, minéraux), peut induire un stress oxydatif et une inflammation légère.
Une étude de 2020 (Journal of Applied Physiology) suggère également qu’un apport glucidique chronique élevé peut réduire l’oxydation des graisses, créant une dépendance aux sucres, bien que des entraînements variés, comme des sessions à jeun, puissent limiter cet effet.
Les produits riches en sucres simples exposent aussi les dents à un environnement acide, favorisant l’érosion de l’émail et les caries. Une étude de 2019 (Scandinavian Journal of Medicine & Science in Sports) montre un risque accru chez les athlètes d’endurance, surtout en cas de mauvaise hygiène buccale post-effort.
Enfin, une consommation excessive de glucides simples pourrait, en théorie, perturber la sensibilité à l’insuline à long terme, particulièrement si l’alimentation hors effort est également riche en sucres ou si la dépense énergétique est insuffisante. Toutefois, les athlètes d’endurance, qui métabolisent ces glucides pendant l’effort, sont moins vulnérables que la population générale.
Adapter les glucides à la distance et à l’intensité
Pour les coureurs amateurs, dont le métabolisme consomme moins de calories, une surcharge de glucides peut provoquer des troubles digestifs immédiats (d’où la nécessité d’une augmentation progressive de la consommation de glucides et d’un entrainement spécifique comme le précisait Kevin Vauquelin), et surtout saturer le sang en glucose, en augmentant ainsi le risque de stockage sous forme de graisse. Grossir n’est pas vraiment l’objectif des amateurs qui investissent dans le sport santé.
L’activité physique au contraire devrait être un puissant outil de prévention contre le diabète et les maladies cardiovasculaires. En épuisant les réserves de glycogène musculaire, l’entraînement améliore la sensibilité à l’insuline, facilitant l’absorption du glucose au repos. Cela réduit le risque de diabète de type 2, mais à la condition de se limiter à une consommation raisonnable de glucides à l’effort et en dehors.
À faible intensité, le corps apprend à brûler les graisses, libérant des acides gras et augmentant le « bon » cholestérol (HDL). Cette adaptation protège les artères et optimise l’utilisation des réserves lipidiques. Une stratégie alimentaire qui favorise la lipolyse, via des entraînements à jeun ou à faible apport glucidique, est donc plus durable et bénéfique pour la santé que des apports massifs de sucres.
Pour une cyclosportive exigeante, un apport de 40 à 60 g de glucides par heure est suffisant pour stabiliser la glycémie et prévenir une grosse défaillance en raison de l’épuisement du glycogène. Pour une course cycliste sur route, on peut monter jusqu’à 80 g, voire 90 g, surtout sur les épreuves courtes et intenses, type critérium.
À une intensité plus faible mais sur des efforts plus longs comme sur les épreuves ultra ou de gravel longue distance, le corps consomme davantage de graisses. Les glucides doivent être complétés par des lipides et protéines digestes (fruits secs, oléagineux salés, fromage, jambon, biscuits, potage). Cette alimentation variée limite les troubles digestifs, responsables par exemple de 50 % des abandons en ultra selon une étude de l’International Journal of Sports Medicine (2019).
Une approche équilibrée pour performer et rester en santé
La recommandation de 90 à 120 g de glucides par heure, bien que soutenue par certaines études, est inadaptée pour la majorité des sportifs et potentiellement néfaste à long terme, même si on manque de certitudes à ce sujet. Une stratégie raisonnée, basée sur un apport régulier mais sans excès de glucides et une alimentation variée optimise la performance tout en préservant la santé. Avant de faire comme les pros, pensez à augmenter graduellement votre volume et l’intensité d’entrainement et adaptez votre stratégie nutritionnelle au niveau des épreuves auxquelles vous participez.
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