Cyclisme : bienfait mental ou piège obsessionnel ?

On parle souvent du cyclisme comme une activité bénéfique pour la santé mentale, capable d’apaiser l’anxiété, d’atténuer la dépression et de libérer des endorphines. Cependant, si ces bienfaits sont indéniables pour beaucoup, un aspect moins discuté mérite l’attention : pour les personnalités obsessionnelles et orientées vers des objectifs de résultat, le cyclisme peut devenir une source de stress, d’épuisement et de tensions relationnelles. Voici pourquoi.

Par Guillaume Judas – Photos : depositphotos.com

Les bienfaits du cyclisme sur la santé mentale : une réalité établie

Le cyclisme est largement reconnu pour ses effets positifs sur la santé mentale. Une étude publiée dans The Lancet Psychiatry (2018) a montré que l’exercice physique, y compris le cyclisme, est associé à une réduction significative des symptômes de dépression et d’anxiété. Les chercheurs ont constaté que les activités en aérobie (endurance) augmentent la production d’endorphines, ces hormones du bien-être qui procurent une sensation d’euphorie naturelle. Le vélo, en tant qu’activité en plein air, permet aussi de s’exposer à la lumière naturelle, ce qui favorise la régulation de la sérotonine, un neurotransmetteur clé pour l’humeur (Journal of Affective Disorders, 2020).

Le cyclisme offre également un cadre social pour beaucoup. Les sorties en groupe ou les clubs de vélo favorisent les interactions sociales, un facteur essentiel pour combattre l’isolement et améliorer le bien-être psychologique. Une étude de l’Université d’Oxford (2021) a souligné que les activités physiques pratiquées en groupe renforcent le sentiment d’appartenance et réduisent les sentiments de solitude.

Mais ces bienfaits ne sont pas universels. Pour certains, notamment les personnes sujettes à des comportements obsessionnels, le vélo peut devenir une source de pression plutôt qu’un soulagement. Les attentes de performance, amplifiées par des applications comme Strava, peuvent transformer une activité bénéfique en une quête incessante de résultats, générant du stress. Une étude dans Frontiers in Psychology (2019) indique que l’exercice excessif, motivé par des objectifs irréalistes, peut entraîner une dépendance à l’exercice, caractérisée par une anxiété accrue lorsque les objectifs ne sont pas atteints.

Quand l’entraînement devient toxique

Pour les personnalités de « type A » – compétitives, orientées vers les objectifs et perfectionnistes – le cyclisme peut devenir une obsession nuisible. Les témoignages abondent sur des relations personnelles mises à rude épreuve par une addiction à l’entraînement. Certains pratiquants priorisent leur plan d’entrainement au détriment de leur famille ou de leurs amis, se montrant distants même lorsqu’ils sont physiquement présents. Une étude publiée dans Psychology of Sport and Exercise (2021) a exploré la dépendance à l’exercice et ses impacts sur les relations interpersonnelles, concluant que les individus dépendants sacrifient souvent du temps de qualité avec leurs proches pour maintenir leurs routines d’entrainement.

Le rôle des plateformes comme Strava est également problématique. En gamifiant le cyclisme à travers des classements et des records personnels, Strava peut exacerber l’obsession pour la performance. Une analyse dans The Journal of Sports Sciences (2020) a montré que l’utilisation intensive d’applications de suivi peut augmenter la pression sociale et l’anxiété liée à la comparaison, particulièrement chez les cyclistes compétitifs. Cette quête de segments ou de podiums virtuels peut pousser certains à négliger des moments précieux de la vie quotidienne, comme passer du temps avec leurs enfants.

Ces effets négatifs ne sont pourtant pas une fatalité. Les impacts délétères du cyclisme dépendent largement de la manière dont il est pratiqué. Une approche équilibrée, où l’entraînement est intégré dans une vie sociale et familiale saine, peut atténuer ces risques. Les experts en psychologie du sport, comme ceux cités dans The British Journal of Sports Medicine (2022), recommandent de fixer des limites claires, comme des jours de repos ou des périodes sans suivi de performance, pour éviter l’épuisement et préserver les relations. De plus, Strava peut être utilisé de manière positive, comme un outil de motivation pour rester actif, à condition de ne pas laisser les classements dominer l’expérience.

La fatigue du système nerveux central : un danger méconnu

Le vélo, en raison de sa nature à faible impact sur les articulations et les muscles, permet d’accumuler de longues heures d’entraînement sans douleur musculaire immédiate. Cette pratique peut néanmoins masquer une fatigue du système nerveux central, qui entraîne des symptômes psychologiques comme l’irritabilité, l’anxiété et une humeur dépressive. Une étude dans Sports Medicine (2018) explique que le surentraînement prolongé sollicite excessivement le système nerveux central, perturbant l’équilibre hormonal et augmentant les niveaux de cortisol, l’hormone du stress. Ces effets sont particulièrement prononcés chez les pratiquants qui s’entraînent intensément sans périodes de récupération adéquates.

Cyclisme : bienfait mental ou piège obsessionnel ?
L’obsession de la performance peut devenir un problème pour l’équilibre général.

Cela dit, la fatigue du système nerveux central peut être évitée grâce à une planification intelligente de l’entraînement. Les spécialistes, comme ceux de l’American College of Sports Medicine (2023), recommandent l’intégration de cycles de récupération, d’entraînements variés et d’une écoute attentive des signaux du corps. Par exemple, alterner des sorties intensives avec des sessions légères ou des activités non compétitives peut maintenir les bienfaits du de la pratique du vélo tout en réduisant les risques pour le système nerveux central.

Un équilibre à trouver

Le cyclisme est indéniablement un outil puissant pour améliorer la santé mentale, en réduisant l’anxiété et la dépression tout en procurant un sentiment de bien-être. Mais pour les personnalités obsessionnelles, il peut devenir une source d’épuisement, de stress et de tensions relationnelles, particulièrement lorsque des outils comme Strava amplifient la pression de la performance.

La clé réside dans l’équilibre : pratiquer le cyclisme avec une forme de modération, en respectant des limites claires et en priorisant les relations humaines, permet de maximiser ses bienfaits tout en minimisant ses risques.

Sources :

  • Chekroud, S. R., et al. (2018). Association between physical exercise and mental health in 1·2 million individuals in the USA between 2011 and 2015: a cross-sectional study. The Lancet Psychiatry.
  • Firth, J., et al. (2020). The effects of sunlight exposure on mental health. Journal of Affective Disorders.
  • Szabo, A., & Ábrahám, J. (2019). Exercise addiction: A narrative overview of its conceptualization, prevalence, and psychological mechanisms. Frontiers in Psychology.
  • Hamer, M., & Karageorghis, C. I. (2021). The impact of exercise addiction on interpersonal relationships. Psychology of Sport and Exercise.
  • Meeusen, R., et al. (2018). Central fatigue: The role of the central nervous system in overtraining. Sports Medicine. 

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Guillaume Judas

  - 54 ans - Journaliste professionnel depuis 1992 - Coach / Accompagnement de la performance - Ancien coureur Elite - Pratiques sportives actuelles : route & allroad (un peu). - Strava : Guillaume Judas

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