Partager la publication "Alan Villemin : l’instinct, le cœur et la ligne d’arrivée"
Il y a des coureurs qui gagnent. Et il y a des coureurs qui marquent. Alan Villemin fait sans conteste partie des seconds. Ceux qui laissent derrière eux des traces, des émotions, des histoires. Ceux dont on retient les gestes, les courses, les silences. Cette année, Alan nous a laissé prendre sa roue, le temps d’un échange sincère et profond. À cœur ouvert, il a répondu à nos « 21 questions », dressant ainsi le portrait d’un coureur aussi humble que dur au mal, aussi atypique que lucide. Et profondément humain…
Par Jeff Tatard – Photos : ©Gérard Briand / https://www.instagram.com/c.a_photographies
2025 ? Il le dit lui-même, c’était « plaisir ». Un mot simple. Et pourtant, derrière cette apparente légèreté se cache un retour à l’essence du vélo : « se faire kiffer », comme il le répète, avec un sourire qu’on devine de l’autre côté du téléphone. Car cette saison, Alan Villemin a roulé avec le cœur, au sens propre comme au figuré. Et dans la douleur, il a trouvé de la lumière.
Le tournant de son année, c’est sans doute Nantes-Segré. Une classique qui a basculé dans une autre dimension. « J’arrivais sur la course émotionnellement impacté par le décès de Simon », confie-t-il. Simon Millon, son ami, son frère de route. Cette course, Alan ne l’a pas seulement courue. Il l’a vécue comme un hommage. Et plus encore. « On voulait s’amuser, envoyer des watts dans la nature… C’était ça, notre façon à nous de créer des mythes. » Quand il sort seul dans le final, c’est Simon qu’il voit, qu’il sent. Les souvenirs affluent, l’émotion monte, mais l’instinct prend le relais. Les trajectoires sont nettes, l’aérodynamisme optimisé. Jusqu’à ce que la voiture de l’organisation lui glisse à l’oreille que c’est bon. Que c’est fait. Et alors là, tout lâche. « J’ai voulu trouver un petit coin loin de la foule pour dissiper le trop plein d’émotion. » On l’imagine, seul, avec Simon quelque part dans les pensées. Un moment suspendu. Et une ligne d’arrivée mythique.
Ce moment, il l’a aussi transformé. Car cette victoire n’a pas seulement été une ligne de plus à son palmarès. Elle a modifié sa perception. « Le fait d’avoir perdu Simon m’a fait comprendre qu’on ne sait pas de quoi est fait demain. » Le plaisir, encore une fois. Comme un mantra. Parce que sans plaisir, le résultat ne vaut rien.
Pourtant, les résultats ont été là. Et pas n’importe lesquels. Podium aux Championnats de France de contre-la-montre amateurs. Une médaille qu’il considère comme « la vitrine de tous les efforts ». Des échappées non récompensées mais formatrices. Des douleurs aux jambes devenues outils de progression. Car Alan n’est pas un pur sprinteur. Il est un puncheur d’endurance. Un coureur d’instinct. « Des fois, je fais des choses incompréhensibles… même pour moi », lâche-t-il dans un éclat de rire. Et c’est là toute sa singularité.
Un podium qui reflète toute sa saison : exigeante, engagée, profondément sincère.
Formé au Paris Cycliste Olympique, il y a vécu ses années espoir. Deux passages. Deux vies. Et une affection intacte : « Je suis en contact avec quasiment toutes les personnes que j’ai côtoyées ici. » L’annonce de la fin de la DN du PCO ne l’a pas autant affecté qu’on pourrait l’imaginer. Parce que cette année, il a connu plus dur. « J’ai sûrement vécu l’une des pires choses au mois d’avril… » La perte de Simon pèse encore.
Mais dans l’adversité, Alan construit. Il avance. Il rêve d’une équipe idéale, « soudée, engagée, passionnée… ». Et dans cette vision, on devine ce qu’il valorise le plus : l’humain. Derrière l’athlète, il y a le fils. Celui d’un père cycliste, moteur de sa passion. « Il m’a transmis la discipline, le goût de l’effort. » Et plus encore : la ténacité. « Il m’a appris que la vraie force, c’est de tenir bon quand tout semble perdu. »
Dans le peloton, Alan se dit plus vrai qu’ailleurs. « C’est là que je me sens libre, vivant. » En dehors ? Plus discret. Plus réservé. Mais c’est peut-être ce qui le rend si attachant. Ce mélange de force et de pudeur.
Le doute, il l’a connu. Juste avant les France, après une contre-performance à la Route Vendéenne. 6e. Pas ce qu’il espérait. Mais il a rebondi. Parce qu’il est bâti comme ça. Parce qu’il aime le chrono. Cette discipline si exigeante. « La chance ne suffit pas pour gagner en contre-la-montre. » Chaque détail compte. Chaque seconde s’arrache. « Le parcours doit être connu comme si c’était mes routes d’entraînement de tous les jours. » Le polygone. Toujours.
Ce qu’il changerait ? Pas grand-chose. Alan n’est pas dans le regret. Ses défaites ne l’amusent pas, mais il les accepte. Il préfère une victoire authentique à cinq podiums fades. Il le dit avec franchise : « Je n’ai jamais été rapide. Mes sprints sont les mêmes au départ et à l’arrivée. » Mais il compense par l’endurance, la résilience. « Quand tout le monde n’en peut plus, j’en veux encore. »
Le mental, chez lui, n’est pas inné. Il s’est forgé. « À mes débuts, je ne gagnais pas. » Alors il a appris à perdre. Et à se relever. Aujourd’hui, il n’a plus peur de tenter. Même si ça ne passe pas souvent. Ce n’est pas grave. Car ce qu’il vise, ce sont les grandes émotions.
Et les grands événements. C’est peut-être ce qui le mènera chez les pros. Il n’exclut rien. Il veut continuer à se dépasser. Toujours. Sa plus grande fierté ? Ce podium aux Championnats de France. Un sommet, pour l’instant.
Quant au cyclisme amateur, il le voit en mutation. Les DN disparaissent. Le modèle se transforme. Il observe. Il s’interroge. Mais il reste fidèle à ses convictions. Et quand il parle aux jeunes, il insiste sur le respect. « Écoutez les passionnés, les anciens. Ils ont déjà vécu ce que vous allez vivre. »
Et si le vélo n’avait pas existé ? « J’aurais fait quelque chose qui m’aurait permis de voyager, de découvrir. » Comme ce qu’il vit aujourd’hui en Indonésie. Une aventure hors norme. Invité par Lotfi Tchambaz pour une course UCI, il n’a pas hésité. Malgré son anglais approximatif. Il a foncé. Et il a été accueilli comme un roi. « Chaque jour était un rêve éveillé. »
Il est arrivé dix jours avant, pour s’acclimater. Découvrir. S’imprégner. Mais aussi s’entraîner. Sérieusement. Car le niveau était relevé. Et la dernière étape, mythique : le volcan Ijen. Une montée finale de 1h30. Des pentes à 23 %. « L’effort le plus dur de ma vie. » Et il en a vécu, des efforts.
Alan Villemin, c’est ça. L’instinct. La douleur. Le dépassement. Mais toujours, le plaisir. Toujours, le cœur. Il roule avec l’envie de vivre. De vibrer. De partager. Ce sport, il l’aime pour les émotions qu’il procure. Pour les liens qu’il crée. Pour les histoires qu’il écrit.
Et nous, on est heureux d’avoir pris sa roue, le temps d’un instant. Car dans son sillage, il y a du vent. Du vrai. Et un avenir qui ne demande qu’à être écrit.
=> Tous nos articles Portraits
Partager la publication "Alan Villemin : l’instinct, le cœur et la ligne d’arrivée"