Partager la publication "Travailler, rouler, performer : ces élites qui carburent à la pause déjeuner"
Il y a ceux qui trichent avec les watts. Et puis il y a ceux qui trichent avec le temps. Dany Maffeis fait partie de cette seconde catégorie. Champion d’Île-de-France Elite en 2024, toujours placé dans les plus grosses courses du calendrier amateur, Dany n’a pourtant rien d’un cycliste professionnel à temps plein. Il travaille, et pas qu’un peu. De 9h30 à 18h30, il est vendeur chez Matériel Vélo. Et entre deux conseils sur les cassettes ou les chaussures, c’est son entraînement qu’il doit caser… à midi, et c’est tout.
Par Jean-François Tatard – Photos : Jeff Tatard & Gérard Briand
L’entraînement compressé, version hardcore
Alors il roule. Tous les jours ou presque, sur sa pause déjeuner, comme d’autres vont fumer une clope ou commander un bol.
1h15 maximum. Parfois sous la pluie. Parfois dans le froid. Toujours à bloc.
Et le compteur affiche parfois près de 40 km/h de moyenne. Pas de zone 2, pas de sieste, pas de foncier au soleil. Juste une fenêtre de tir. Et un mental de tireur d’élite.
« J’ai pas le choix », dit-il. « C’est la seule solution. Alors je ne réfléchis pas trop. »
C’est là que réside tout le paradoxe : comment continuer à performer à un niveau élite amateur, là où l’on s’entraîne souvent 15 à 20 heures par semaine… avec seulement 6 ou 7 heures hebdomadaires, pause déjà incluse ?
La réponse tient à deux mots : longévité et intelligence d’entraînement . Et peut-être un troisième : Obélix.
Le facteur Obélix : tomber dedans et y rester
On parle souvent de l’effet Obélix en sport : cette idée que certains athlètes ayant longtemps accumulé des volumes d’entraînement élevés disposent d’un fond physique très solide, gravé à vie ou presque. Ce capital d’endurance, de capacité aérobie et de résistance à l’effort ne disparaît pas totalement, même lorsque le volume baisse.
Dans le cas de Dany Maffeis, les années d’entraînement à haut niveau ont laissé une empreinte. Son corps à appris. Il sait comment encaisser, comment réagir, comment performer, même avec peu.
Ce n’est pas magique. C’est de la mémoire musculaire, physiologique, mentale.
Mais il y a aussi une part de stratégie : Dany ne cherche pas à « compenser » son faible volume par du travail au rabais. Il mise tout sur l’intensité, la régularité, et le lien étroit entre course et entraînement.
La course n’est plus seulement un objectif, elle devient l’entraînement.
Et ça, peu de cyclistes l’acceptent vraiment.
La course comme catalyseur
« Je n’abandonne jamais, même quand je suis dans le dur. Parce que sinon, je perds la seule sortie longue de ma semaine. »
C’est peut-être l’une des phrases les plus puissantes de l’interview. Dany court pour durer. Il s’accroche, non pas pour un classement, mais pour un chrono. La durée, c’est l’objectif en soi.
Une course de 3 heures ? C’est une aubaine. Car au-delà de ses fractionnés du midi, c’est là qu’il reconstruit un peu de foncier.
Cela dit, cette stratégie a ses limites. Et lui-même le sait.
La question qui reste en suspens : combien de temps ça peut tenir ?
Combien de saisons peut-on faire à haut niveau avec 7 heures par semaine, sans déclin significatif ? La science n’a pas de réponse tranchée, mais les indices convergent : tant que le socle est là, tant que la motivation est intacte, tant que l’intensité est juste, ça peut tenir étonnamment longtemps .
Une autre vision de la performance
Dans un monde amateur de plus en plus professionnel, où les entraînements sont ultra-calibrés, où les plans sont exportés de TrainingPeaks à Zwift et où le sommeil devient une donnée Strava, le cas de Dany fait figure d’exception.
Il rappelle que le sport de haut niveau n’est pas qu’une affaire de chiffres, mais aussi de contexte, de vécu, de caractère.
Il montre qu’on peut faire du haut niveau avec un badge et une pointeuse, à condition de penser autrement, de tirer chaque minute, de maximiser ce qu’on a au lieu de pleurer ce qu’on n’a plus.
Et surtout, il invite à une réflexion plus large sur la place du sport dans nos vies. Car oui, on peut être élite, et salarié, et heureux.
Le vélo n’est pas une religion. C’est un engagement. Et parfois, ceux qui s’y engagent le plus sont ceux qui ont le moins de temps pour le prouver.
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