Le cyclisme : un sport marqué par les inégalités

En vous lançant dans le vélo, vous imaginiez avoir autant de chance de performer que d’autres cyclistes ? Eh bien non ! Le sport de compétition incarne souvent l’idéal d’une lutte loyale, où la volonté et l’entraînement triomphent. Mais est-ce vraiment le cas ? Entre génétique, environnement socio-économique et activités sportives dès l’enfance, les dés sont pipés bien avant le départ. Explorons pourquoi la performance en cyclisme comme ailleurs est loin d’être une simple question de courage et de détermination.

Par Guillaume Judas – Photos : depositphotos.com

En cyclisme comme dans d’autres sports, il y a des pratiquants plus forts que d’autres, comme nous pouvons le constater en termes de puissance et de vitesse sur une course à étape, sur une journée, ou même sur un effort instantané. Si vous demandez à n’importe quel cycliste avec un peu d’expérience de boucler 200 km d’une traite, il pourra les faire, quelle que soit sa vitesse. Mais si vous demandez à ce même cycliste de boucler un kilomètre à 50 km/h seul, c’est déjà une toute autre paire de manches.

Parce qu’en réalité, tous les pratiquants du vélo ne sont pas égaux face à l’intensité de l’effort nécessaire pour briller en compétition. Bien sûr, il y a ceux qui s’entrainent beaucoup, plus que leurs adversaires directs, ce qui est parfois considéré dans certains milieux comme « injuste ». Mais c’est loin d’être suffisant.

Le cyclisme : un sport marqué par les inégalités
Chez les professionnels, seuls les tout meilleurs sortent du lot.

La génétique : un bagage qui pèse lourd

Le VO2max est la capacité maximale d’un individu à consommer de l’oxygène lors d’un effort physique intense, exprimée en millilitres d’oxygène par kilogramme de poids corporel par minute (ml/kg/min). Il mesure l’efficacité cardiorespiratoire et est un indicateur clé de la condition physique aérobie.

Cette capacité est déterminée en partie par l’héritage génétique. En d’autres termes, par ce que lèguent les deux parents. Si on prend l’exemple de Mathieu van der Poel, son père Adrie a été lui-même un coureur professionnel de classe mondiale dans les années 80 et 90. Sa mère est la fille de Raymond Poulidor, un des plus grands champions français des années 60 et 70. Dès son plus jeune âge, Mathieu van der Poel s’est distingué par des capacités physiques hors norme, et sans doute par un VO2max très au-dessus de la moyenne, légué par ses parents.

Le VO2max peut progresser de 20 à 30 % avec un entraînement optimal. Un sédentaire en bonne santé partant de 40 à 45 ml/kg/min peut atteindre 50-60 ml/kg/min en faisant preuve d’assiduité. Peut-être un peu plus s’il travaille spécifiquement pour augmenter ce VO2max lors des années où celui-ci se développe plus facilement, c’est-à-dire à la fin de l’adolescence. Mais c’est souvent trop peu pour atteindre le haut niveau.

 

Les plus grands champions sur les courses à étapes ont un VO2max égal ou supérieur à 90 ml/kg/min. À 80, on trouve les tout meilleurs coureurs Elite ou les bons pros. À 70, les meilleurs cyclosportifs ou des coureurs de niveau Open 2. Avec un VO2max de 60, on milite plutôt dans les rangs Access.

Même la volonté serait aussi génétique. Des études, notamment sur des souris, suggèrent que la motivation à s’entraîner pourrait également être influencée par la génétique, renforçant les écarts dès le départ.

L’héritage modulé par l’environnement

L’épigénétique, qui régule l’expression des gènes, joue un rôle clé. Avec des parents actifs pendant la conception, il y a plus de chance de transmettre des gènes favorables à la pratique du sport.

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Une pratique précoce du sport favorise le développement sportif ultérieur de l’enfant.

Ensuite, l’enfance est une période cruciale pour façonner vos capacités. Une pratique sportive précoce influence durablement les gènes liés à la performance, tout en développant la tolérance à l’effort, la confiance en soi et les compétences techniques. Sans cours de natation ou de ski dans l’enfance, maîtriser ces disciplines à l’âge adulte devient plus difficile. Pour le vélo, il y a les aspects techniques et stratégiques qui s’apprennent plus facilement pendant l’enfance ou l’adolescence, mais il y a aussi de nombreux exemples de coureurs venus sur le tard au vélo très performants après avoir brillé dans une autre discipline. Comme Remco Evenepoel, qui a commencé à 17 ans mais après avoir eu un très haut niveau en football. Le Belge a d’abord été un athlète avant d’être un cycliste.

Enfin, il ne faut pas négliger le rôle de l’alimentation. Les cellules adipeuses se multiplient plus facilement pendant l’enfance. Un enfant en surpoids aura plus de mal à devenir un adulte affûté. De même, les habitudes alimentaires précoces, influencées par l’environnement familial, conditionnent l’hygiène de vie à long terme.

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Le surpoids à l’adolescence peut être handicapant pour le reste de la vie.

L’impact des facteurs socio-économiques

Votre contexte de vie façonne vos performances bien plus qu’on ne le pense. Les opportunités sportives, le temps disponible et les moyens financiers jouent un rôle déterminant.

Comme précisé plus haut, l’enfance est la période clé pour acquérir des compétences techniques grâce à la plasticité cérébrale. Selon l’environnement dans lequel évolue l’enfant, il n’aura pas accès à certaines activités sportives susceptibles de développer ses aptitudes gestuelles mais coûteuses pour les parents. Heureusement, le foot, la natation, l’athlétisme ou la gymnastique par exemple, sont assez facilement accessibles financièrement et permettent de développer de nombreuses qualités physiques chez un adolescent.

Cependant, en cyclisme un équipement haut de gamme peut faire la différence, aujourd’hui plus qu’hier. Depuis une quinzaine d’années, le matériel haut de gamme a beaucoup progressé, que ce soit en rendement pur ou en économie d’énergie pour une vitesse donnée. C’est un problème d’égalité chez les jeunes pratiquants, où certains parents n’hésitent pas à offrir des vélos à 6 ou 7000 € à un minime ou à un cadet, quand d’autres n’en ont pas les moyens. Mais aussi plus tard pour le cycliste qui voudrait se démarquer en compétition sans avoir les moyens de se payer une machine performante.

Enfin, à l’âge adulte, tout le monde ne part pas sur un pied d’égalité en compétition amateur quand il s’agit de concilier le sport et d’autres contraintes. Les métiers physiques, les horaires irréguliers ou les responsabilités domestiques réduisent le temps et l’énergie consacrés à l’entraînement. Les conditions socio-économiques dictent ainsi l’accès à une pratique régulière et à la performance le jour de la compétition.

D’autres moyens de rouler

Face à ces inégalités, la quête de performance peut devenir frustrante, surtout avec l’âge, qui éloigne inexorablement des podiums. Alors, pourquoi ne pas changer de perspective ?

Vous pouvez toujours opter pour le vélo loisir, axé sur le plaisir et la santé. Parce qu’une pratique régulière, même modeste, entretient le système cardiovasculaire et métabolique, améliore le bien-être émotionnel, et protège les articulations. Vous limitez aussi les risques de prise de poids trop importante. Pour beaucoup, le vélo a aussi des vertus sociales. Vous partagez des sorties avec des amis, vous prenez du plaisir et vous conservez des objectifs de découverte. Plutôt que de viser des chronos inaccessibles, concentrez-vous sur la régularité. Le sport santé, pratiqué avec assiduité, peut vous accompagner jusqu’à un âge avancé.

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Il existe différents moyens de s’épanouir dans la pratique du vélo.

Le cyclisme est aussi un sport avec plusieurs formats de pratique. On note par exemple l’essor des épreuves d’ultra-distance ces dernières années, que ce soit sur route ou en gravel, qui mettent en avant d’autres qualités que la puissance pure, comme l’organisation, la gestion de l’effort et la parfaite connaissance de soi.

Car quelles que soient vos capacités physiques, c’est souvent en ayant parfaitement conscience de vos qualités et de vos limites que vous vous exprimeriez au mieux dans le sport. Vous pourrez ainsi redéfinir ce que veut dire le mot victoire.

Plutôt que de courir après des podiums inatteignables puisque le cyclisme est par nature fondamentalement inégal, tournez-vous vers une pratique qui privilégie le plaisir et la santé. Après tout, la vraie victoire, c’est de bouger à votre rythme, pour vous, et pour longtemps.

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Guillaume Judas

  - 54 ans - Journaliste professionnel depuis 1992 - Coach / Accompagnement de la performance - Ancien coureur Elite - Pratiques sportives actuelles : route & allroad (un peu). - Strava : Guillaume Judas

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