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Il y a des coureurs dont le nom évoque immédiatement des victoires, des maillots distinctifs ou des échappées mythiques. Et puis il y a ceux dont le parcours résonne plus profondément : avec humanité, lucidité, et une forme de courage discret. Romain Feillu fait partie de ceux-là. Chez 3bikes.fr, nous sommes allés à sa rencontre. Non pas pour seulement parler palmarès — même si le sien est loin d’être anodin — mais pour raconter l’homme derrière le coureur. Celui qui a porté le maillot jaune sur le Tour de France. Celui qui a aimé sprinter plus que tout, souffrir pour gagner, et surtout vivre ce métier comme une évidence. Celui aussi qui, après la carrière, a dû faire face à d’autres cols, bien plus abrupts. À travers ses mots, ses souvenirs et ses silences, c’est une histoire pleine de vérité que nous avons voulu transmettre. Une histoire de vélo, bien sûr, mais surtout une histoire de vie.
Par Jeff TATARD – Photos : DR
L’enfance en roue libre
Pour Romain Feillu, tout commence loin des podiums. Dans une enfance simple, au cœur d’un milieu rural où le vélo n’est d’abord qu’un moyen de transport. « C’était un moyen de déplacement pour aller retrouver les copains ou jouer au tennis à Pezou avec mon frère Brice. » Très vite, l’objet devient passion. Il se souvient parfaitement de son premier BMX, de son premier VTT… et de ce vélo de route repeint à la bombe fluo par son père.
La compétition vient plus tard. Les héros de l’époque s’appellent Miguel Indurain, Jan Ullrich. Ces figures imposantes l’inspirent. L’idée d’en faire son métier germe doucement. Mais c’est seulement chez les juniors que la certitude apparaît : « Je commençais à percevoir quelques primes et figurais parmi les meilleurs Français. C’est là que je me suis dit que je pouvais en vivre. »
Deux frères dans le même rêve
Impossible de parler de Romain sans évoquer Brice, son cadet d’un an, lui aussi passé pro. « On s’est toujours suivis. » Ensemble à Agritubel Amateur, ensemble au CC Nogent-sur-Oise, les deux frères partagent tout… sauf leurs qualités. Romain est sprinteur. Brice est grimpeur. « Nous ne nous sommes jamais retrouvés en concurrence. Mais nous avions tous les deux cette envie de réussir. »
Les liens fraternels résistent à la compétition. Et si les courses communes sont des instants de solidarité, les entraînements, eux, sont un terrain de jeux plus explosif : « On se chamaillait fréquemment, des bidons volaient de temps en temps… »
Dans cette fratrie dédiée au vélo, les parents jouent un rôle fondamental. « À partir de mes 17 ans, je peux dire que toute la vie de la famille Feillu était organisée pour la performance. » Diététique, sommeil, emploi du temps, tout est calé sur la course. Sa sœur Lisa, future épouse du coureur Jonathan Hivert, est aussi une alliée précieuse. Le vélo est une affaire de famille.
Le pro, la passion, la précision
Chez les pros, Romain s’impose comme un sprinteur appliqué, réfléchi, presque obsessionnel sur les détails. Il adore souffrir sur de courtes durées. « Une montée raide, une relance à bloc… je prenais beaucoup de plaisir, car je savais qu’il y avait une victoire possible au bout. »
Il excelle dans la reconnaissance des arrivées. Il utilise Google Maps, étudie les trajectoires, demande à faire des détours pour reconnaître les derniers kilomètres. Il veut tout voir. Tout savoir. « J’aimais choisir une trajectoire et éventuellement prendre une vitesse que peu de coureurs allaient oser prendre. »
En 2007, ça paie. À Paris–Bourges, il lance son sprint à 400 mètres, avec l’appui de son coéquipier et ami Freddy Bichot. Il gagne. Une victoire construite, pensée, déclenchée au moment parfait.
Mais ce n’est rien comparé à l’explosion médiatique qui vient un an plus tard.
Le jour en jaune
Le 7 juillet 2008, Romain Feillu endosse le maillot jaune sur le Tour de France. L’un des rêves les plus puissants d’un coureur devient réalité. Il entre dans un club très fermé, celui des porteurs du mythique maillot. Un moment gravé. Un symbole de réussite.
Pourtant, cette reconnaissance ne change pas l’homme. Il reste discret, fidèle à lui-même, à ses sensations, à sa quête de précision. Il continue à souffrir dans l’ombre sur certaines courses. « J’ai réellement souffert du froid sur quelques étapes. Et pour accrocher le grupetto sur tous les Tours, il fallait souvent se surpasser. »
Il vit son métier avec engagement, mais jamais avec illusion. Il sait que tout peut s’arrêter. Il sait aussi que la souffrance mentale fait parfois plus mal que celle du corps.
L’après, sans scénario
La fin de carrière se dessine doucement. Romain continue à courir en Continental pendant quatre saisons. Puis l’arrêt. Pas comme il l’avait imaginé. « J’aurais aimé continuer un peu plus longtemps. » La raison n’est pas sportive. Elle est personnelle. « La maman de mes enfants m’avait imposé de stopper ma carrière pour “sauver notre couple”, avant de décider d’une rupture en mai 2020. »
Il avait pourtant anticipé sa reconversion. Diplômé du DEJEPS, il avait lancé une structure pour organiser des séjours cyclistes. Le divorce brise tout. Il n’a pas l’énergie pour mener ce projet. Il recule. Il encaisse.
Aujourd’hui, le vélo n’est plus au centre. Il est toujours là, dans un coin de la tête. Mais c’est sa meute qui compte. Trois chiens. Quatre chevaux. Et surtout ses enfants, qu’il ne voit pas assez. « Le vélo me manque, mais mes enfants sont mes principales préoccupations. »
Un regard lucide sur l’évolution
Romain n’est pas du genre à enjoliver. Quand on lui parle du cyclisme d’aujourd’hui, il est franc. « Le monde a changé. C’était mieux avant. » Il admire Pogacar, mais cette domination écrasante le laisse un peu froid. En revanche, il s’enthousiasme pour la montée en puissance du cyclisme féminin. « Le niveau est monté, c’est plaisant à regarder. La FDJ Suez fait du très bon travail. »
Et si un jeune coureur lui demandait conseil ? Il irait droit au but. Pas de banalités sur le mental ou la VO2 max. « Je lui dirais de ne surtout pas se lancer dans la construction d’une maison. C’est une source de préoccupations incompatible avec la performance sur le vélo. »
Peut-être une autre selle
L’avenir est incertain. Mais une chose est sûre : il ne tournera pas le dos au sport. Il rêve de faire pour ses enfants ce que ses parents ont fait pour lui. Et si ce n’est pas dans le cyclisme, ce sera peut-être dans le monde équestre. « Mes enfants rêvent d’évoluer dans le monde du cheval. Alors pourquoi ne pas les accompagner, et avoir une petite écurie de concours de saut d’obstacles ? »
Ce que l’on retient
Il reste de sa carrière des images fortes. Des victoires. Des douleurs maîtrisées. Et cette scène, inoubliable, après la victoire de Brice à Andorre-Arcalis, maillot à pois sur les épaules : « Les retrouvailles au pied du podium, c’était chargé d’émotion. »
Et il reste cette phrase, sa devise, une citation légère en apparence, mais d’une justesse folle dans un sport où rien n’est jamais écrit : « Oublie que t’as aucune chance. Vas-y, fonce. Sur un malentendu, ça peut marcher. »
Romain Feillu, c’est l’histoire d’un coureur au panache assumé, d’un homme qui a connu la lumière du maillot jaune, les lignes blanches franchies à toute vitesse, mais aussi l’ombre de décisions douloureuses et de reconstructions silencieuses. C’est un nom que les suiveurs du cyclisme n’oublieront pas. Mais derrière ce nom, il y a un frère, un fils, un père, un passionné – un homme qui a toujours roulé droit, même quand la route s’effritait.
Aujourd’hui, ce n’est plus un sprint qui l’anime, mais un autre genre de trajectoire : celle qui le ramène vers ses enfants, ses animaux, ses terres, et peut-être un futur autour des chevaux. Plus calme, mais tout aussi intense. Et au fond, il continue d’y croire.
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