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Il y a quelques mois, 3bikes racontait l’histoire d’un homme, Jean-François Guiborel, connu sous le nom de Jeff, « La Guibole », un père, un champion, une voix pleine d’éclat dans le monde du cyclisme. Aujourd’hui, on vous invite à prendre une autre roue, plus discrète, plus intérieure, celle de son fils Julien. Un parcours moins spectaculaire, mais d’une richesse insoupçonnée. Un chemin où le silence parle, où l’effort se fait humilité, et où la passion devient transmission. Parce que parfois, c’est dans l’ombre que se forge la lumière la plus durable.
Par Jeff Tatard – Consultant pour 3bikes – photos : équipe de france @Patrick Pichon / DR
Héritage & enfance : né pour pédaler ?
Julien Guiborel est né avec un vélo dans le berceau, ou presque. “Il semblerait que j’ai roulé avant de savoir marcher”, confie-t-il en souriant. Son tout premier souvenir, c’est un BMX, sur lequel il allait “sauter des bosses” près de chez lui, à Suresnes, se cassant parfois la figure, mais apprenant à se relever, à aller plus loin, à se dépasser. Un geste inaugural qui résume bien ce que sera sa trajectoire : instinctive, engagée, mais toujours ancrée dans une forme de liberté.
Chez les Guiborel, le vélo est une religion. Son père, Jean-François, ex-coureur, entraîneur, figure haute en couleur du cyclisme francilien, ne cache rien de sa passion – ni de celle qu’il a transmise. “Vacciné avec un rayon de vélo”, dit Julien, reprenant une formule bien connue dans le milieu. Les dimanches matin avaient leur liturgie : la sortie club, les relais dans le froid, et puis le bon repas en famille.

Mais son père, justement, veille à ne pas faire de son fils un héritier obligé. Il l’inscrit en école de cyclisme, mais lui conseille aussi de faire une pause, d’aller voir ailleurs. Julien touche alors à tout : gymnastique, basket, foot, tennis… Un besoin vital de se dépenser – parfois au grand dam des voisins du petit appartement familial ! – mais aussi un apprentissage précoce de la coordination, de la rigueur, de l’écoute du corps.
Il ne se souvient pas avoir grandi “dans l’ombre” de son père. “Je voulais tracer mon propre chemin.” Et il le fait. Avec deux points de bascule : son passage au CM Aubervilliers, en junior, sous la houlette d’Hervé Boussard, puis ses années espoirs, marquées par une opération lourde mais aussi une révélation : celle de son potentiel. “Je me suis dit que je pouvais espérer passer pro.”
Père & fils : deux tempéraments, deux mondes
À les voir ensemble, tout semble les opposer. Jean-François est volubile, actif sur les réseaux sociaux, capable de sortir une anecdote, une blague ou un souvenir de derrière les fagots. Julien, lui, est discret, en retrait. Pas timide, non – simplement posé. Réservé. Observateur.
“C’est un choix et un tempérament”, explique-t-il. Il préfère l’écoute à l’exposition. Il est sur les réseaux, mais pour “faire de la veille”, pas pour raconter sa vie. Et quand il est en famille, il déconnecte. “C’est mon jardin d’Eden.” Son père, lui, continue de poster des photos d’enfance, de sorties club, de maillots trop grands sur un gamin déjà appliqué. “Je pense que c’est une forme de nostalgie. Moi, je suis plutôt tourné vers l’avenir.”
Les désaccords n’ont pas manqué. Surtout sur la façon de courir. Julien aimait attaquer, secouer les pelotons, tenter le tout pour le tout. “Mon père, fin tacticien, n’aimait pas trop ça.” Il y eut quelques engueulades, bien sûr. Et de la déception, aussi, quand Julien décide d’arrêter la compétition à 25 ans. “Mais il a accepté. Et il m’a toujours transmis des valeurs solides : persévérance, santé, éthique.”
Il y a eu des rituels. Les entraînements à Longchamp, les sorties avec le CSM Puteaux, les étirements du soir – que son père faisait avec assiduité, et qu’il a du mal à imiter aujourd’hui. “Il est plus souple que moi !” Il y a eu des phrases, du vocabulaire cycliste, un peu de Jacques Audiard dans les formules, et un peu de respect filial dans l’approche. “Je lisais ses plans d’entraînement. Ça m’a aidé à me construire, comme coureur, mais aussi comme entraîneur.”
Aujourd’hui encore, ils échangent un peu. Mais de loin. L’un vit à Paris, l’autre en Savoie. “Quand on s’appelle, on parle surtout de nos familles.” Deux mondes, deux vitesses, mais une même passion, chevillée au corps.
Le coureur : ce qu’il reste des jambes
Quand Julien réfléchit à sa carrière de coureur, il n’y a pas de nostalgie dégoulinante, pas de frustration non plus. Une forme de fierté, oui. « J’ai touché du doigt le professionnalisme, j’ai voyagé, j’ai rencontré des gens formidables. Et surtout, j’ai compris l’exigence de ce métier. »
Il se décrit comme “un peu les trois” : bosseur, cérébral, instinctif. Il n’avait pas les facilités de certains, mais il compensait par l’analyse, la rigueur, la régularité. Et une certaine intuition du moment juste. “Je n’avais pas les qualités de sprint de mon père, alors je courais offensif, j’aimais les pavés, les échappées.”
Le souvenir le plus vif ? Sa victoire au GP des Marbriers en 2005. Une course maîtrisée, une seule attaque, au bon moment. “À la flamme rouge. Je suis parti, j’ai fini seul. J’ai explosé de joie.” Il a gagné une table en marbre. Elle est encore dans le jardin.
Le formateur : transmettre, faire émerger
Après la selle, il y a eu le tableau blanc. Ou plutôt, le carnet d’entraînement, les stages, les réunions. Julien devient entraîneur, puis manager technique. “J’ai été inspiré par les personnes qui m’ont encadré. J’ai voulu transmettre à mon tour.”
Former, pour lui, c’est une affaire de méthode, d’intuition… et de patience. Il aime poser un cadre, observer, ajuster. Et surtout, laisser l’athlète construire, se tromper, apprendre. “Je suis plutôt dans un accompagnement en retrait. Je pose des questions, je laisse formuler.”
Ce qu’il repère en premier chez un jeune ? “L’attitude. La capacité à être moteur dans un groupe.” Puis vient le mental, la motivation profonde. Il croit en chacun, même en celles ou ceux qui restent longtemps dans l’ombre. “Certaines jeunes femmes que j’ai coachées ont été longtemps remplaçantes… Aujourd’hui, elles sont pros. Parce qu’elles ont cru en elles.”
La formation française, il la défend. Malgré le manque de moyens, elle est riche, complète, ancrée. “Mais il faudrait développer la culture sportive à l’école. On passe à côté de beaucoup de talents.”
Et les parcours atypiques ? “Ils existent encore, mais c’est plus difficile. Le professionnalisme arrive tôt, surtout dans les disciplines techniques. Mais il y a des passerelles. Rien n’est figé.”
Le présent & demain : rester dans la roue
Aujourd’hui, Julien vit entre Chambéry et Aix-les-Bains. Lac, montagnes, air pur. Un cadre rêvé, loin du tumulte francilien. Il emmène ses garçons à l’école… à vélo. “C’est la meilleure des motivations.”
Professionnellement, il encadre des jeunes au sein du comité Auvergne Rhône-Alpes. Des stages montagne, des contre-la-montre, des courses en Belgique pour apprendre à rouler en peloton serré. “On les accompagne pas à pas. Et j’essaie de leur transmettre les clés… pour qu’ils réussissent dans le vélo ou ailleurs.”
Parmi ses plus belles réussites ? Le fait de retrouver certaines anciennes athlètes devenues collègues. “Je les ai ‘martyrisées à l’époque, et maintenant on bosse ensemble. C’est génial.”
Et dans dix ans ? “Peut-être éleveur de chèvres dans les Bauges !” Puis il reprend, plus sérieux : “Je continuerai à transmettre, d’une manière ou d’une autre.”
Quand on lui demande s’il accepte de “sortir un peu de sa réserve” pour ce portrait, il sourit. “Je vais avoir 45 ans. J’ai choisi une vie simple, au service d’une passion.” Il raconte ses souvenirs d’enfance à Morzine, ses premiers cols, ses premières gamelles. Et ce rêve de gosse : vivre au pied des montagnes. “Ce rêve, aujourd’hui, je le vis.”
Julien Guiborel, le coureur invisible
Julien Guiborel n’est pas un homme de lumière. Il est de ceux qui construisent les fondations, les trajectoires, les espoirs. Il ne cherche pas la gloire, encore moins le buzz. Il préfère former plutôt que briller, accompagner plutôt que diriger, écouter plutôt que parler.
Il n’a pas “pris la roue” de son père. Il a roulé à côté. Sur une autre ligne. À son rythme. Parfois en tête, parfois en retrait, mais toujours fidèle à lui-même.
Dans un monde où il faut être visible pour exister, Julien rappelle qu’on peut inspirer… en silence. Et que parfois, la plus belle victoire, c’est d’être encore là, fidèle au vélo, et aux valeurs qu’il vous a enseignées.
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