Partager la publication "Céline Vandenbroucke : le panache en héritage"
Il y a des noms qui, à eux seuls, racontent des morceaux d’histoire. Dans le cyclisme, Vandenbroucke en fait partie. Et pourtant, au-delà de l’héritage, il est une femme qui a tracé sa route en dehors des sentiers attendus : Céline. Une trajectoire singulière, faite de silences brisés, de défis relevés, et d’un moteur qui n’a jamais cessé de tourner. Dans sa voix comme dans sa vie, il y a un feu qui ne s’éteint pas. On l’a rencontrée pour une entrevue exclusive…
Par Jeff Tatard – Photos : DR
Née au cœur d’une dynastie de coureurs, de mécaniciens, de passionnés viscéraux, Céline a grandi dans une maison où l’on parlait watts, braquets et échappées comme d’autres parlent météo. Pourtant, ce nom qu’elle porte fièrement aujourd’hui lui a longtemps pesé. « J’en ai souffert, surtout à l’époque des affaires de dopage… Mon nom était devenu presque interdit. »
C’est dans cette zone grise entre admiration et rejet qu’elle s’est construite. Mais avec le temps, elle a su reconquérir ce nom, le ramener du bruit à l’éclat. Elle est devenue l’une des rares à pouvoir faire le lien entre la génération Merckx-Poulidor et celle du cyclisme 2.0. Son parcours est tissé de moments forts : hôtesse sur les grands tours, responsable d’événements cyclistes majeurs, passeuse de mémoire et bâtisseuse de lien.

Mais ce n’est pas par la voie directe du sport qu’elle a d’abord brillé. Elle s’en est détournée, avant de s’y reconnecter puissamment. Ce retour, elle le doit à une révélation survenue en 2013, lors de son premier marathon à New York. Une course née d’un défi, presque d’une provocation : « Je voulais prouver à certains dans ma famille que j’en étais capable, malgré le surpoids, malgré les doutes. »
Ce fut un déclic. Dix-neuf marathons plus tard, et cinq half-Ironman à son actif, Céline est devenue une athlète du cœur et de la volonté, portée non par le chrono, mais par la passion. « J’ai couru pour garder la ligne, oui, mais surtout pour me sentir vivante, libre, capable. »
Ce dépassement, elle l’a aussi investi dans sa vie professionnelle. Depuis 2016, elle s’épanouit chez Ekoï, la marque française de textile et équipement cycliste. Un univers dans lequel elle a su s’imposer, à force de résultats concrets, d’idées novatrices, et d’un réseau forgé au fil des années. « J’ai rencontré mon boss à Velofollies. Un vrai coup de foudre pro. »
Malgré les résistances internes, elle a su faire entendre sa voix, avec des projets forts : pop-up stores, activations sur Zwift, développement des réseaux sociaux… Et surtout, elle a su rallier les plus grands à la marque : Frank Schleck, Johan Museeuw, Bradley Wiggins, Armstrong, Marion Rousse, Bjarne Riis… Autant de légendes qui aujourd’hui lui font confiance.
Mais au-delà de la sphère professionnelle, ces champions sont, pour beaucoup, devenus ses amis. « Pour certains, je suis la petite sœur. Pour d’autres, la confidente. Et pour les plus jeunes, une marraine rassurante dans un monde parfois impitoyable. » Son regard sur les athlètes ne s’arrête pas à leurs heures de gloire.
Elle parle avec une grande sensibilité de l’après-carrière, ce moment où l’on passe de la lumière à l’ombre. « Beaucoup se retrouvent démunis. Moi, j’essaie de les aider à rebondir, à retrouver une place. Leur histoire mérite d’être racontée, même si elle appartient au passé. »
Céline n’a jamais été professionnelle au sens strict. Trop tardive, trop occupée. Mais ce qu’elle accomplit relève pourtant de l’exploit. Quand elle parle de courir 60 kilomètres par semaine, quel que soit le temps ou l’agenda, on comprend que le sport est devenu son refuge. « Je n’ai pas de patience, mais j’ai du courage. La discipline m’aide à faire le vide. C’est mon équilibre depuis 2014. » Même lorsqu’elle avoue sa peur du vélo — commencé sur le tard, à 37 ans, pour les besoins du triathlon — elle le fait avec une sincérité touchante. « Je redoute les descentes, les virages… Mais une fois lancée, sur une route calme, j’oublie tout. »
Ce feu intérieur ne se limite pas au sport. Céline est aussi une voix singulière sur les réseaux sociaux, où elle partage sans filtre ses courses, ses projets, ses paysages, ses coups de cœur. Elle ne joue pas un rôle. Elle montre ce qu’elle vit, sans chercher à plaire. « Pourquoi je devrais cacher ma vie pour ne pas provoquer de jalousie ? Je suis fière de ce que j’ai construit. Et j’ai envie de le partager. » Pour elle, c’est aussi une façon de documenter son parcours, de poser des jalons, et peut-être, de montrer la voie à d’autres.
Car Céline est aussi une passeuse. Elle entraîne, elle encourage, elle bouscule parfois. Elle a récemment convaincu une collègue de 52 ans de se mettre à la course à pied. Résultat : aujourd’hui, cette femme court 8 kilomètres seule, sans peur. « Tout est mental. On se met soi-même des barrières. Moi, je suis née pour les faire sauter. » Et cela vaut aussi pour sa propre vie. Quitter sa région, s’installer seule dans le sud, loin de ses repères, dans un petit appartement, pour vivre sa passion à fond. Une décision radicale, courageuse, assumée.
Sa plus grande fierté ? Pas seulement les médailles. Mais le fait d’avoir su inspirer, embarquer des proches dans l’aventure du sport. Montrer que rien n’est figé. Qu’à 30, 40 ou 50 ans, tout est encore possible. Que l’âge ne ferme aucune porte. Elle-même aurait aimé vivre sa jeunesse dans une époque plus ouverte, plus connectée. « Aujourd’hui, j’aurais eu ma place dans le sport féminin. Et j’aurais adoré utiliser les réseaux pour me démarquer. »
Parmi tous ceux qu’elle a croisés, quelques noms reviennent avec chaleur et reconnaissance. Marion Rousse, pour sa gentillesse naturelle. Bradley Wiggins, pour son charisme. Et surtout Nico Mattan, « mon frère de cœur, celui qui m’a ouvert tant de portes ». Dans un monde souvent codifié, parfois dur, ces amitiés précieuses sont autant de phares.
Alors, si Céline devait s’adresser à la petite fille qu’elle était, elle lui dirait ceci : « Crois en toi. Ne laisse personne t’éteindre. Ne vis pas à travers le regard des autres. Brille. Et reste fidèle à ce que tu es. » Ce conseil, elle le suit aujourd’hui avec une intensité rare. Elle avance, tête haute, cœur battant, dans un monde qui n’attend pas mais qu’elle a su apprivoiser.
Et le nom Vandenbroucke ? Il résonne encore, bien sûr. Mais aujourd’hui, il raconte avant tout l’histoire d’une femme. Une force tranquille. Une détermination sans artifices. Une passion indéfectible pour un sport qu’elle n’a jamais quitté, même lorsqu’il lui tournait le dos.
Ce qui nous a vraiment frappés, au-delà du parcours, au-delà des exploits, c’est autre chose. C’est cette sincérité rare, presque troublante, qu’on lit dans les regards de ceux qui l’entourent. Ce pourrait être de façade, ou dicté par l’intérêt – comme c’est souvent le cas dans ce milieu. Mais là, non. Dans chaque photo, chaque témoignage, on perçoit une affection vraie, une fidélité désintéressée. Et ça, dans le show-business du sport, c’est précieux.
Bravo Céline, vraiment. Et merci. Merci pour cette générosité sans calcul, pour ta voix, pour ton énergie. Même à travers un simple échange, on se sent un peu privilégié. Et on repart avec l’envie d’aller plus loin. De courir plus loin. Ou d’écrire mieux.
Céline, c’est ça : une lumière assumée — pas pour briller à tout prix, mais pour rayonner sincèrement. Une femme qui n’a jamais triché, qui aime être là où ça vibre, mais qui reste toujours fidèle à ce qu’elle est. Et c’est cette cohérence, cette intensité vraie, qui la rend si inspirante.
=> Tous nos articles Portraits
Partager la publication "Céline Vandenbroucke : le panache en héritage"