L’intérêt de l’entrainement à basse intensité

Parce qu’il est toujours utile de le rappeler – et encore plus pendant la saison hivernale – l’entrainement à basse intensité est l’élément clé de la progression sur le long terme dans un sport d’endurance comme le cyclisme. Voici pourquoi.

Par Guillaume Judas – Photos : depositphotos.com

Contrôler l’intensité de l’entrainement permet de progresser à long terme.

No Pain, No Gain (« on a rien sans rien »). Cet adage est toujours de mise quand on souhaite progresser dans un sport aussi exigeant que le cyclisme. Mais là où il faudrait voir dans cette phrase pleine de bon sens des notions telles que assiduité, patience, planification et stratégie, d’autres choisissent d’appliquer une traduction plus littérale (« pas de progrès sans douleur ») qui ne conduit pas aux effets escomptés. Cumuler les séances d’entrainement en « se faisant mal », ou en d’autres termes à « intensité soutenue ou haute », ne peut amener qu’à l’échec, ou du moins à une rapide stagnation.

Certains ont besoin constamment de challenges. Du type devant à rattraper. Du copain à épater. Du peloton trop rapide à accrocher. De la vitesse moyenne à dépasser. De la séance de home-trainer possible uniquement en participant à une course virtuelle. Mais on peut souvent constater que ce genre de pratiquant roule quasiment toute l’année à la même vitesse. C’est celui qui vous fait mal en décembre ou en janvier, mais qui se fait larguer à la première bosse en course au mois de juin. Et c’est celui qui reste toute sa carrière en Pass Cyclisme quand les copains finissent par évoluer en première caté.

Travailler les intensités hautes est indispensable en cyclisme. Mais pas n’importe comment ni n’importe quand.

Évidemment, il n’est pas question ici d’écrire qu’on peut donner le meilleur de soi-même sans se fixer des objectifs. Mais il faut le faire avec rigueur et stratégie, et ça passe par consacrer la plupart du temps de la préparation à un entrainement à basse intensité, à ce qu’on appelle « l’endurance de base ». Et c’est encore plus vrai en période hivernale, après une coupure ou un relâchement de l’activité. Si les athlètes professionnels commencent très tôt un entrainement avec de hautes intensités, c’est parce qu’ils ont derrière eux des années et des années avec un très gros volume de pratique, ce qui leur permet de conserver longtemps un très haut niveau de base, et de revenir très vite en forme après une coupure. Et comme ils sont professionnels, ils consacrent toujours beaucoup de temps à un gros volume d’entrainement en parallèle des séances avec de hautes intensités.

Qu’appelle-t-on l’entrainement à basse intensité ?

L’échelle ESIE est une graduation en sept niveaux de ce que vous ressentez en produisant un effort, et nommés de I1 (Intensité 1) à I7 (intensité 7). Ce sont des termes aujourd’hui utilisés par presque tous les entraineurs dans le cyclisme.

  • I1 : intensité légère, effort facile en décontraction, conversation aisée, correspondant à < 50 % de la puissance à PMA (puissance maximale aérobie), ou à < 75 % de la FC (fréquence cardiaque) Max. Objectif de l’entrainement : longues heures d’effort, décontraction, régénération.
  • I2 : intensité moyenne, correspondant à un effort d’endurance pure, aucune douleur musculaire, conversation facile, fatigue intervenant après 3/4 h d’effort prolongé, de 50 à 65 % de PMA et 75 à 85 % de FC Max. Objectif de l’entrainement : augmentation du niveau d’endurance, élimination active des déchets.
  • I3 : intensité soutenue, apparition des tensions musculaires, conversation difficile à tenir, épuisement sur 2h, de 65 à 75 % de PMA, de 85 à 92 % de FC Max. Objectif de l’entrainement : maintenir sans difficulté le niveau moyen d’intensité d’une épreuve sur la durée.
  • I4 : intensité critique, augmentation progressive des douleurs musculaires, conversation très difficile, épuisement à partir de 20 minutes, 75 à 80 % de PMA, 92 à 96 % de FC Max. C’est l’allure d’un contre-la-montre sur 20 minutes, ou encore ce qu’on appelle l’intensité seuil anaérobie. Objectif de l’entrainement : supporter les intensités élevées de la compétition, ou les difficultés (dénivelé) du parcours.
  • I5 : intensité sur-critique, augmentation très rapide et vite insupportable des douleurs musculaires, conversation très compliquée, épuisement entre 3 et 7 minutes, autour de 100 % de PMA et entre 96 et 100 % de FC Max. C’est l’allure d’une côté montée à bloc. Ou encore ce qu’on appelle la PMA. Objectif de l’entrainement : augmenter le seuil de tolérance à la douleur (pour les phases clés d’une épreuve, suivre ou faire la différence).
  • I6 : intensité sous-max, souffrance extrême pendant l’effort, proche de la nausée, épuisement entre 30 secondes et 1 minute, autour de 150 % de PMA, FC non significative. Objectif de l’entrainement : tolérance aux lactates (capacités de puncheur, sprint en côte).
  • I7 : intensité maximale, impression d’un effort en apnée, très court, aucune douleur musculaire, hyperventilation en fin d’exercice, effort max de 7 à 10 secondes, pic de puissance ou 250 % de PMA, FC non significative. Objectif de l’entrainement : développer la force maximale, améliorer les qualités gestuelles).

Quand on parle d’entrainement à basse intensité, nous faisons référence aux deux premiers niveaux I1 et I2, et même plus précisément à I2 afin d’optimiser au mieux le temps passé à pédaler. Ceci en opposition aux intensités plus élevées, qui sont plutôt à réserver à la phase d’approche de la compétition, et bien sûr à la compétition elle-même.

Pourquoi l’entrainement à basse intensité ?

Le travail de l’endurance doit être à la base de toute préparation à la performance, et c’est aussi ce qui permet de progresser à long terme. C’est en quelque sorte le socle de la saison.

Cumuler du temps dans cette zone d’intensité offre de nombreux avantages pour la condition physique.

D’abord des adaptations physiologiques :

  • Augmentation du nombre de mitochondries (présentes dans toutes les cellules et qui permettent de produire de l’ATP)
  • Augmentation du nombre de capillaires sanguins (qui transportent les nutriments dans l’organisme)
  • Augmentation du VO2 max (volume maximal d’oxygène qu’on peut consommer à l’effort)

Ensuite, des adaptations métaboliques qui permettent notamment d’utiliser plus facilement les lipides (le gras) comme source d’énergie plutôt que le sucre (stocké en quantité plus limité dans l’organisme). Un bon entrainement à basse intensité permet de rapprocher les seuils d’utilisation de ces différents substrats énergétiques du VO2 max. Ceci dans le but de gagner en endurance en repoussant le seuil à partir duquel les sucres sont utilisés pour produire un effort, et de perdre du poids en diminuant la masse grasse. Ce type d’entrainement permet également de progresser en termes d’économie d’énergie pour produire une même puissance, que ce soit sur le plan gestuel ou sur le plan métabolique.

Cumuler du temps d’entrainement à basse intensité permet donc à l’organisme de s’habituer à conserver un état stable plus longtemps, et donc de gagner en endurance. C’est évidemment indispensable pour préparer de longues épreuves (type cyclosportives). Cela permet également de progresser lentement (mais sûrement) dans toutes les autres zones d’intensité, sauf pour I6 et I7. Et surtout, un long cycle d’entrainement à basse intensité permet de mieux profiter ultérieurement des séances à haute intensité.

Le piège des entrainements trop intenses

Les entrainements à haute intensité mal conduits ou mal planifiés sont certes immédiatement bénéfiques en termes de performance, mais ils conduisent à une stagnation rapide. Avec un organisme pas assez préparé, l’athlète arrive très vite au maximum de ses capacités, et il lui faut constamment augmenter l’intensité et la difficulté des séances pour progresser, tout en générant une fatigue de plus en plus importante induite par ces entrainements, sur le plan physique et psychologique.

En adoptant un entrainement principalement à basse intensité, les progrès sont plus lents, mais plus durables, et ils permettent d’aller plus loin. De plus, l’augmentation progressive du volume d’entrainement tous les ans est relativement facile à supporter physiquement.

Avec une bonne base de condition physique grâce à un long cycle d’entrainement à basse intensité, les progrès sont également assez rapides lorsque vient le moment d’intégrer des séances à haute intensité dans la semaine d’entrainement.

Avec une bonne base de condition physique grâce à un long cycle d’entrainement à basse intensité, les progrès sont également assez rapides lorsque vient le moment d’intégrer des séances à haute intensité dans la semaine d’entrainement. Les exercices introduits peuvent être plus longs et plus difficiles tout en générant moins de fatigue que lorsque l’athlète ne s’entraine qu’à haute intensité.

Comment doit se dérouler une séance à basse intensité ?

C’est souvent dans les vieux pots qu’on fait les meilleures confitures. Les sorties dites « à l’ancienne » sont encore les plus efficaces pour ce qui est du travail de l’endurance. Des séances en solo ou en très petit groupe, où chacun prend le vent à peu près de la même façon (rouler toute une sortie dans les roues est évidemment contreproductif), où le temps passe vite en discutant mais sans trainer en route toutefois, et en flirtant avec d’autres filières énergétiques en se contentant de répondre au terrain.

Les nouveaux pratiquants préfèreront sans doute qu’on leur donne des instructions plus précises. Et celles-ci consisteront à rester le plus régulièrement possible dans la fourchette de 75 à 85 % de FC Max (soit de 125 à 145 pulsations environ pour quelqu’un dont la FC Max est de 170 pulsations par minute, ou de 150 à 170 pulsations pour quelqu’un dont la FC Max est de 200), quel que soit le profil et le dénivelé, en jouant du braquet pour rouler par séquences soit avec une cadence de pédalage élevée, soit un peu plus en force. Un petit sprint court explosif de 7 à 10 secondes de temps en temps est toujours intéressant à intégrer à ce genre de séance. Cela permet d’entretenir la force maximale et de conserver un peu de vivacité.

L’endurance se travaille en augmentant progressivement la durée des séances. Mais aussi en conservant une fréquence régulière des sorties. Ainsi, il est plus profitable d’effectuer une sortie longue par semaine (en augmentant progressivement sa durée chaque semaine de 15 minutes à chaque fois par exemple jusqu’à la durée d’endurance souhaitée), et plusieurs sorties courtes en supplément, que de faire deux séances longues et rien au milieu. Mieux vaut autant que possible d’ailleurs conserver cette habitude de la sortie longue par semaine (qui peut durer de 3 à 6h selon le niveau de l’athlète) toute la saison, et profiter du rythme des petites séances supplémentaires pour y intégrer de hautes intensités, à l’approche des compétitions ou des différents objectifs.

Pour réussir vos objectifs, il ne suffit pas de foncer en baissant la tête.
Pour en savoir plus sur la fréquence cardiaque et les filières énergétiques

L’énergie dont ont besoin les muscles est fournie par la transformation biologique des aliments ingérés et stockés, et principalement le glucose qui est retenu sous une forme particulière dans les muscles et le foie, le glycogène. Mais la dégradation des acides gras (lipides) permet aussi la synthèse d’une énergie utilisable par les cellules. Pour que cette source d’énergie soit transformée en combustible, elle a besoin d’oxygène. Le tout est immédiatement converti en ATP (Adénosine Triphosphate). L’ATP est la principale source d’énergie directement utilisable par la cellule. Selon l’intensité de l’effort, l’organisme n’utilise pas les mêmes substrats énergétiques et ne produit pas de l’ATP de la même façon. La première filière énergétique (et la principale dans les sports d’endurance) est nommée filière aérobie, et crée de l’ATP en utilisant de l’oxygène, et en dégradant le glycogène et les acides gras. Cette filière produit peu de déchets dans l’organisme et ses limites dépendent du VO2Max (Volume maximale de consommation de l’oxygène) et des réserves de glycogène. Les deux autres filières énergétiques sont l’anaérobie lactique et l’anaérobie alactique. La première produit de l’ATP en dégradant le glycogène exclusivement, mais en produisant également de l’acide lactique, lui-même responsable d’une acidose musculaire, qui limite rapidement l’activité (rarement au-delà de 2 à 3 minutes à cette intensité très critique). La seconde produit de l’ATP en dégradant la phosphocréatine, présente en très petite quantité dans l’organisme, pour des efforts courts et explosifs de quelques secondes. Heureusement, les réserves de phosphocréatine se reconstituent rapidement, en quelques minutes. Le glycogène quant à lui ne se reconstitue pas avant plusieurs heures, ce qui explique que la gestion de l’effort et des réserves revêt toute son importance. Pour la filière anaérobie alactique, la fréquence cardiaque n’est absolument pas significative (la puissance en watts, oui !). Elle est un peu plus significative pour la filière anaérobie lactique, mais la durée et l’intensité de l’effort dépendent des réserves de glycogène (qui diminuent à vitesse grand V) et la capacité à supporter l’acidose. En clair, vous disposez de très peu de cartouches au court d’un entrainement ou d’une course. C’est surtout au sein de la filière aérobie que la fréquence cardiaque est importante, car selon le principe de Fick (1870), elle est en relation directe avec la consommation d’oxygène. Autrement dit, surveiller la fréquence cardiaque et s’assurer qu’elle reste dans les valeurs recherchées permet de gérer le potentiel énergétique sur des épreuves ou entrainements de long cours. Le glycogène est le premier carburant utilisé pendant l’effort, et c’est aussi le plus efficace. Mais les réserves sont limitées, au contraire des acides gras, un carburant moins efficace mais qui permet d’aller très loin. L’amélioration de la condition physique liée à un entraînement régulier et aux adaptations de l’organisme permet de repousser le seuil (en intensité, en puissance, en fréquence cardiaque) à partir duquel les réserves limitées de glycogène sont utilisées au profit des réserves de graisses.

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Guillaume Judas

  - 53 ans - Journaliste professionnel depuis 1992 - Coach / Accompagnement de la performance - Ancien coureur Elite - Pratiques sportives actuelles : route & allroad (un peu). - Strava : Guillaume Judas

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