Retour sur le tour du mont Blanc, une épreuve ultime !

338 km, 8500 m de dénivelé… Le tour du mont Blanc cyclo est une épreuve très difficile à laquelle a participé David Polveroni. Il revient pour nous sur un événement qui marque la vie d’un cycliste.

Par David Polveroni – Photos : Manon Griboval / DR

« Je fais quoi ici ? » Cette impression d’être totalement inefficace, car cela ne fait que descendre, et que chaque coup de pédale me fait mal aux jambes alors que je n’appuie quasiment pas… Les voitures et camions empêchent la fluidité de l’épreuve. Me voilà dans la vallée d’Aoste, qui aujourd’hui fait office de four comme dans chaque commune qui marque le pied des ascensions… Je n’éprouve plus aucun plaisir et songe à poser pied à terre. « Tu rigoles ou quoi ? Et tous les participants derrière ? Tu crois qu’ils font une promenade de santé ? Puis tu as connu bien pire que de rouler sous un soleil de plomb ! » La petite pensée, car oui on pense beaucoup en 12 h, qui me fera rebasculer mentalement dans une course contre moi même.

Après une nuit plutôt bonne, je suis assez peu stressé au départ malgré la difficulté qui s’annonce. Je rejoins la station des Saisies pour participer à une course d’un format que je juge aux limites avant de basculer sur des choses vraiment ultra. Le tour du mont Blanc, c’est un peu plus de 330 km et de 8000 m de dénivelé. En passant par la France, la Suisse, l’Italie avant de revenir en France. Cette année, l’édition s’annonce particulièrement chaude. Un maillot court, un cuissard et des chaussettes suffiront pour m’accompagner et se jouer des variations d’altitudes et de températures, hélas jamais bien froides. Minimaliste au départ du TDMB, c’est plutôt cool.

Le tour du mont Blanc, c’est un peu plus de 330 km et de 8000 m de dénivelé. En passant par la France, la Suisse, l’Italie avant de revenir en France. 

Au moment de prendre mon vélo, il est 4h50, ma roue avant est à plat. Par chance c’est bien la première fois de l’année que j’ai pris une paire supplémentaire… Je change les roues et passe à autre chose. La frontale allumée, le feu arrière clignotant, je rejoins la masse, de près de 700 cyclistes annoncés. Je ne saurai dire si ce chiffre est exact, et je m’en moque un peu, je rentre progressivement dans ma course.

Pour avoir vécu l’expérience en 2012, dix années plus tôt, je me souviens avoir vraiment souffert de la solitude sur ce parcours. Non pas que celle-ci me gêne, mais cela avait été un net désavantage pour la gestion de la course et les efforts à fournir. Mais nous sommes en 2022 à présent et je me fais ma petite stratégie pour atteindre l’objectif fixé : mettre moins de temps qu’à 23 ans. Pas de préparation spécifique, quelques petits enchainements, mais une bonne gamelle en VTT électrique qui m’handicape encore un peu aujourd’hui. Mais on n’est pas là pour se plaindre, si je prends le départ c’est que je me sens capable de terminer, même si l’objectif chronométrique aussi futile qu’il soit ne sera pas atteint.

Le départ neutralisé, de nuit, dans la descente des Saisies est très sympathique à regarder. Car, dans les faits il faut être très vigilant. Je suis bien plus à l’aise qu’il y a 10 ans, j’arrive à rester en tête du peloton sans problème alors que dans le passé je me battais pour remonter. On arrive sur les premiers faux plats nous conduisant à Megève. Je suis mentalement prêt à partir comme si la course se finissait après 50 bornes. Pas cette année, ça roulotte. Alors je prends le soin de m’alimenter. Plutôt des aliments solides quand l’intensité est très faible, barres en tous genres ou biscuits, puis des boissons d’effort de moins en moins concentrées. De manière général, ce qui est liquide passe mieux chez moi, m’apporte plus d’énergie, même si les bidons se cumulent et l’estomac s’alourdit.

Première petite descente assez rapide nous amenant à St Gervais les Bains, et second imprévu du jour : perte des lunettes en voulant les mettre. Super… Mais ma bonne étoile arrive dans la minute. Le dossard 77, William Lewis me prête gracieusement sa paire « de nuit » avec verres transparents. Ça fera bien l’affaire, portant des lentilles, je me vois mal faire 280 bornes et des descentes a près de 100 km/h dans la Forclaz, sans lunettes.

On attaque alors gentiment la remontée sur Chamonix, via Passy – Servoz – Les Houches. Je suis le groupe, les jambes sont plutôt bonnes, ça tourne. J’essaie de me baser par rapport à Guillaume Bourgeois, qui est spécialiste de ce genre d’épreuve. Et pour le reste de la gestion : au feeling et de temps en temps un coup d’œil sur la moyenne de puissance sur 10 secondes pour corréler tout ça. 

Nouveau « problème » : une envie d’uriner s’impose. Ça ne m’arrive jamais en course. Habituellement, je sais rouler 7/8h sans ressentir la moindre envie, mais là… J’essaie de m’en accommoder sur le vélo, mais je ne sais pas faire, donc je décide de m’arrêter une première fois. Comme je le sentais, les secondes sont longues et il me faudra rattraper la minute de retard. Heureusement que devant le rythme est assez cool… Je reviens quasiment au pied du col des Montets sur le groupe encore compact. On monte sur un rythme que je trouve assez facile. Le peloton est encore conséquent. Le col est aussi facile, à l’image de ce début de parcours. Peu de pente et un rythme cool : petit peloton compact ici à 1461 m d’altitude.

Je fais la descente devant, comme toutes les descentes, j’ai l’impression que tout le monde veut se reposer. Pour ma part, j’en profite pour m’amuser tant que la lucidité est encore bien présente. On passe en Suisse, et on attaque le col de la Forclaz. Il va permettre un premier gros écrémage. À 2 km du sommet, un Italien, Carlo Fino, accélère le rythme. Nous ne sommes plus qu’une petite dizaine (pas trop le temps de compter !) dans le groupe de tête. Je me demande honnêtement l’intérêt d’accélérer ici. La route est encore longue, pourquoi ne pas simplement augmenter le tempo dans les cols ? Surtout que ça s’arrête complètement dans la descente et la courte vallée qui suit…  Et je ne parle pas de la gestion de course, car ce coureur abandonnera plus tard…

Descente de la Forclaz, en tête comme les précédentes, une belle descente avec des lignes droites a 90 km/h donnant de beaux et larges panoramas sur la vallée de Sion. Pas le temps de profiter, nous voilà à Martigny. Quelques kilomètres en vallée : un ravitaillement où l’on s’arrête tous. On jugera alors la grosse utilité d’avoir accéléré juste avant ! Encore un bon allègement de la vessie de près de 500 g, on augmente ainsi le rapport poids-puissance, indispensable en montagne (blague^^à moitié !)

Champex, la montée que je redoute le plus, assez raide, courte par rapports aux gros morceaux qui nous attendent ; elle vient couper un peu le rythme du Tour du mont Blanc. Sans que le tempo ne s’accélère, je suis assez surpris de voir le groupe se réduire à 6/7 unités (de mémoire), preuve que certains partent beaucoup trop vite… Je me sens plutôt bien en haut de Champex. Descente sinueuse, mais assez belle qui nous ramène sur la route du premier 2000 de la journée, le Col du Grand Saint Bernard. Un peu moins de 30 km de montée continue, on se relaie 2 par 2, chacun notre tour. Cette route, ou plutôt cette autoroute, tellement la circulation est dense, en devient insupportable : oui ce n’est pas agréable de se faire doubler sans arrêt et de respirer ces pots d’échappements. Et c’est pour moi LE point noir de ce tour du mont Blanc, j’y reviendrai à la fin.

Cette route, ou plutôt cette autoroute, tellement la circulation est dense, en devient insupportable.

Un peu plus de 140 km et pratiquement 5h de vélo, et deux coureurs accélèrent le rythme. Je me souviens bien de la fin du col particulièrement pentue en altitude et je m’interroge : m’accrocher au risque de le payer plus tard ou bien me mettre à mon rythme ? Je choisis la première option, jusqu’au tunnel, car la partie avant d’aborder le sommet est plutôt roulante et je perdrai moins de temps.

Tunnel du Grand Saint Bernard : ces foutues voitures prennent le tunnel, quelques-unes continuent sur les pentes abruptes du col. Cette fois, je ne cherche pas. Comme d’habitude passé les 2000, mon rendement diminue, cumulé à la fatigue et la pente : je perds du terrain rapidement. Mais je ne me prends pas trop la tête, bien que ça joue inconsciemment sur mon rythme. J’adopte donc celui-ci pour qu’il me convienne sans trop puiser dans mes réserves. Le Polveroni’zone. Je ne regarde pas combien ils sont devant et je suis un peu dans le flou pour connaitre ma position. Autrement occupé qu’à compter, je préfère regarder les paysages entre deux bonnes bouffées d’oxygène manquant, celle-ci à peine perturbée par les échappements des voitures postés devant un feu temporaire… La route est encore longue. Je perds un peu moins de 3 minutes.

Mais je sens que le fait de ne plus être devant me fait basculer dans un autre mode. J’ai du mal à progresser dans la descente, j’ai l’impression de ne pas avancer. En plus les voitures m’imposent d’être quasiment à l’arrêt parfois et me demandent de la vigilance. Rien de reposant. Quelques courtes phases de pédalage me font mal aux jambes… Je rentre progressivement dans un four et je sens mon corps un peu s’éloigner de la course. « Je fais quoi ici ? » La question m’a quand même effleuré l’esprit… Les premiers kilomètres de la vallée d’Aoste sont compliqués, une circulation horrible, des carrefours avec hésitations, la chaleur ! Un bénévole qui me crie « tête de course à 7 minutes » me montre que j’ai perdu plus de temps à la descente que dans la montée. Puis un panneau qui indique Piccolo San Bernardino 57 km. Je m’efforce de rester dans ma bulle. Je me console avec le vent qui permet d’avoir un peu d’air…

Intervient alors mon autre petite étoile. Carlo Fino, qui était dans le groupe devant s’est planté dans la descente. Il est très insistant sur ses relais, et m’incite à collaborer pour revenir devant : j’ai l’impression de me débloquer avec lui et de revenir dans la course qui commençait à me sortir de la tête. On roule proprement jusqu’à l’entrée de Morgex. Mais Carlo doit s’arrêter pour prendre à manger car il n’a plus rien. Je continue tout doucement. 1 km, 2…3 …4…5, et je ne vois personne revenir. Je laisse tomber et reprends mon rythme. Ils ne sont plus que 3 devant.

Le Petit Saint Bernard est assez roulant. Mais long. Le point noir, qui vient s’ajouter à la circulation et la chaleur est le vent. Il commence à sérieusement compliquer mon avancée, comme prévu. Sur cette montée, après analyse, je fais jeu égal avec les 2 devants, et reprends Sieben au début de la descente. Il avait fait exploser le groupe dans le Grand Saint Bernard. Je galère au sommet pour prendre mon ravitaillement : je néglige, une erreur qui va se payer plus tard.

8h28, 243 km, je commence un peu à calculer pour occuper mon esprit. 1h10 environ pour le Cormet, 1h pour les Saisies. Ça laisse 1h pour faire les 2 descentes. L’objectif serait donc atteint malgré un feeling vraiment très mauvais, au bord de l’abandon à Aoste, puis un retour de forme dans la vallée avant le Petit Saint Bernard. À ce moment-là, je n’ai plus aucun doute quant à mes capacités à grimper les deux prochains cols.

Sieben à l’air cuit. Mais pas tant que ça, ou pas plus, ni moins que moi en fait. On aborde les premières rampes du Cormet de Roseland. Une montée que je connais bien, près de 20 km d’ascension, jamais de forts pourcentages, le petit plateau reste maitre sur cette montée. Un four. Je me console en sachant que la seconde partie est un peu plus boisée et que l’altitude fera baisser la température. Je n’ai plus trop la notion du temps et de l’heure qu’il est. En tout cas, le soleil tape. On s’arrose, on échange quelques mots. Avec la sympathie du Belge, récent 6ème de la Marmotte que je connais bien, à vrai dire on se connait tous en cyclo :), on décide d’allier nos efforts et de terminer ensemble. On décide… L’effort constant, mode gestion, on passe les Chapieux, sur notre droite le mont Blanc nous observe toujours et nous encourage presque. Le tempo reste supportable, on le rend en tout cas. Par contre, le vent est toujours présent. Ma foi, le vélo c’est de la voile parfois, on n’y pense pas, on baisse la tête et la dernière descente du jour se profile.

Si les montées peuvent sur le papier être l’élément de difficulté majeur de l’épreuve, et elles le sont, les descentes ont leur rôle. Car s’il faut grimper 8000 m de dénivelé, il faut aussi les descendre.

Si les montées peuvent sur le papier être l’élément de difficulté majeur de l’épreuve, et elles le sont, les descentes ont leur rôle. Car s’il faut grimper 8000 m de dénivelé, il faut aussi les descendre. Avec les heures de selles déjà consenties, inévitablement la fatigue est présente. Et la vigilance baisse. Si on n’en a plus conscience, cela peut vite virer au drame. Les choses n’ont pas changé en 10 ans, et ce sont même amplifiées. On pourrait faire un slalom géant avec celles-ci, je laisse certains s’amuser. Et je prends conscience que je commence à être fatigué et que les réflexes sont moins bons, donc j’augmente ma prudence et remet un peu du sucre dans le bonhomme et maximise cette dernière phase de repos musculaire. Ces réflexes sont encore bien testés sur le final avec gravillons sur de longues portions…  Nous ne rentrons pas dans Beaufort, peu avant on bifurque à droite, pour grimper les Saisies par Hauteluce. Une ascension irrégulière de 15,5 km pour 860 m de dénivelé, de forts pourcentages au début, du plus faible ensuite, une courte descente puis un raidillon dans Hauteluce, avant de reprendre la route principale des Saisies sur ses 7 derniers kilomètres.

On se parle encore, Français, Anglais. Je roule beaucoup plus que Sieben depuis le début, mais au fond de moi, je me moque un peu de faire 3 ou 4, même si nous arrivons ensemble. Cette épreuve est vraiment un défi sur soi-même avant tout. Et ce que je n’ai pas vu venir arriva, à 4 km du sommet, alors que Sieben me prend un relais, mon corps m’échappe, plus de force. Mais alors plus rien. J’essaie de m’accrocher quelques mètres, impossible. Avec quelques mots et d’un geste de la main je lui dis de partir, je suis vidé.

À 4 km du sommet, alors que Sieben me prend un relais, mon corps m’échappe, plus de force.

Et puis 3 km interminables. Je ne pense plus à rien, je m’applique comme je peux à tourner les jambes à une puissance de débutant. 2 km, le vent, de face, se fait encore plus sentir. Je me remémore ce passage en 2015 à ma presque victoire sur la Time où j’enroulais facilement le 53. Je me demande si je vais arriver aux Saisies malgré le fait que je commence à apercevoir la station. Toujours ce vent, qui me parait d’une puissance bien plus importante que la mienne, une puissance qui ne me fait pas dépasser les 10 km/h. On est dans du 6 %. C’est long, c’est bien long. Des voitures me doublent, j’entends quelques gamins crier vitres baissées des allez ! qui, hélas, ne me font guère avancer plus vite mais qui me poussent sur ces dernières lettres.

Un peu plus de 11h40 après avoir pris le départ, frontale sur le casque, ce sentiment de fierté d’accomplir cette boucle autour du symbolique mont Blanc avec un dénivelé s’approchant de l’altitude de l’Everest. C’est bien la première fois depuis que je fais du vélo que je dois m’allonger au sol pour reprendre mes esprits et ma glycémie. Trop beau.

Si je peux comparer avec le tour des Stations, fait l’année passée, j’avais souffert plus rapidement en Suisse. Déjà le départ est encore plus matinal, ensuite la succession de montées courtes est plus difficile à gérer. Aujourd’hui encore, je serais perdu dans toutes ces montées, alors que le TMB est plus clair. Néanmoins, les deux épreuves sont à faire ! Le seul point négatif à cette épreuve, comme j’ai pu l’évoquer, reste la circulation, à cause du week end du 14 juillet…. Mais cette épreuve est avant tout un défi personnel, un défi que n’importe qui pourrait se fixer, un défi unique que de faire le tour du mont Blanc puisqu’on ne peut pas encore le grimper à vélo !

Lien Strava de l’épreuve : ICI

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David POLVERONI

  - 34 ans - Ambassadeur Factor et Castelli. Arpenteur de cols - Passionné de cyclisme - Plus de 30 victoires en Cyclosportives - Pigiste depuis 2018 - Pratique sportives actuelles : pur routier, gravel et dans le futur du VTTAE Strava : David Polveroni

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