Vincent Martins a battu le record du monde des 100 km sur piste

Vincent Martins a battu ce 23 avril un record du monde peu connu mais néanmoins prestigieux : celui des 100 km sur la piste. Pour ce faire, il a utilisé à la fois sa passion pour les efforts hors normes ainsi qu’une incroyable motivation puisque la veille du jour J, une blessure récurrente s’est rappelée à son mauvais souvenir. Retour sur préparation et une journée pas comme les autres.

Texte : Olivier Dulaurent – Photos : Vincent Martins

Vincent Martins en pleine concentration

Vincent Martins, 36 ans est éducateur sportif et masseur. Il pratique le vélo depuis son adolescence et a pris sa première licence en 1998. Passionné, parfois excessif, il a une pratique cycliste assez hétéroclite : compétitions sur piste et sur route, cyclosportives avec notamment plusieurs Haute Route et Marmotte au compteur et ultracycling.

Sa passion et même sa vie ont été bousculées en septembre 2019 quand il a appris dans la presse le contrôle positif de sa meilleure amie, Marion Sicot. Une aventure humaine s’est alors mis en place et a conduit la cycliste à battre le 19 septembre 2021 le record du monde féminin de dénivelé positif en 24h sur les pentes de l’Alpe d’Huez avec 15339 m.

En parallèle, Vincent Martins a aussi développé une vraie passion pour l’écriture avec de nombreux textes et article sur le développement et a publié un premier livre autobiographique, « A-tout cœur ».

Les origines du record

Pendant le confinement de mars 2020, Morgane Toullec, une athlète d’ultra endurance, lui propose de faire un 24 heures non stop sur home-trainer. C’est la porte ouverte à l’audace et au défi et Vincent boucle ce challenge contre lui-même.

En juin 2021, alors en pleins préparatifs de la tentative du record de dénivelé sur 24 heures avec Marion Sicot (dont il est aussi l’entraineur), la FFC poste une annonce à la recherche de candidats pour battre un record vieux de 30 ans, celui des 100 km sur piste (Hervé Boussard, 2h24’, en 1988). Un défi se présente alors, qui combine sa passion de la piste et la résistance. Le dossier d’organisation est demandé le soir même.

Un record reporté deux fois

Initialement programmée le 23 octobre 2021, la tentative du record a dû laisser la place aux Championnats du Monde sur piste  alors déplacés à Roubaix. La piste elle même n’a pas pu accueillir Vincent Martins deux semaine auparavant car la piste elle-même a dû être poncée pour accueillir le Mondial. Une mauvaise nouvelle tombée quinze jours avant et des moments difficiles à vivre, comme si ce record ne voulait pas de lui.

Ainsi, la tentative a été prévue en ce printemps 2022, pas la meilleure période de l’athlète mais il n’a pas souhaité voir encore plus loin. Il a vraiment fallu repartir de zéro… Après deux ans d’aventure et à accompagner Marion Sicot dans sa rédemption, Vincent Martins était épuisé moralement et l’annulation de sa tentative a été un coup dur à encaisser.

Quatre mois de préparation avec deux puis trois semaines de stage en Espagne à accumuler les kilomètres et le travail de fond et de force en position chrono, deux semaines en altitude chez Chloë Turblin (une amie qui, comme Marion, a connu du harcèlement dans son équipe belge). Entre ces semaines, deux à quatre séances hebdomadaires sur le vélodrome de Saint-Quentin-en-Yvelines, beaucoup de home-trainer et de travail en salle de sport pour s’assouplir et supporter la position. Une préparation finale avec plusieurs séances derrière scooter au vélodrome de Roubaix dont l’équipe a été aux petits oignons pour l’aider dans sa préparation, tout comme ceux de Saint-Quentin.

Le choix du braquet s’est fait suite à des essais et réflexions

Une blessure au plus mauvais moment

Après le dernier entraînement, la veille du record, Vincent pense alors que tout est parfait, qu’il est à son pic de forme physique et mental le jour J. Pourtant, en attrapant une clé Allen dans la caisse à outils, il ressent une énorme décharge électrique dans le dos, un tendon d’Achille qui le handicape depuis des années.

Il ferme les yeux et souffle un grand coup. Acceptation, presque un sourire même. C’est la vie qui lui offre un nouveau challenge mais le temps n’est pas à l’abandon, pour lui, pour son équipe.

Ceinture lombaire, arnica, baume du tigre, bain chaud, automassage, toute la panoplie y passe pour ne pas arriver trop bloqué le lendemain. Le vélo reste l’endroit le moins douloureux pour son dos.

Après des mois de préparation et d’attente, le jour J est enfin arrivé. Vincent ne veut pas avoir de regrets et part sur la base de son tableau de marche le plus optimiste, 2h10, soit 19’’5 au tour (46,1 km/h de moyenne) avec un braquet de 58×16 (7,56 m par tour de pédale). Pendant 30 km tout se passe bien et le tableau de marche est respecté. Mais à 270 tours de l’arrivée, Vincent commence à sentir une inflammation du nerf sciatique avec des spasmes dans l’ischio gauche, et à perdre de la sensibilité dans les orteils.

Sur le premier tiers de l’épreuve, Vincent Martins roule sur des bases élevées

Il raconte : « je sais que les portes de l’enfer viennent de s’ouvrir mais je veux les forcer, elles et mon destin. 1h30 de souffrance, c’est quoi dans une vie ? C’est une souffrance choisie, une souffrance qui rime avec dépassement de soi et accomplissement. C’est à ce moment-là que les repères de concentration laisse place aux repères de motivation.

Les ravitaillements permettent de relâcher un instant l’effort mais pas la concentration.

Un ravitaillement alors que la souffrance extrême devient permanente

Le temps au tour commence à remonter autour de 20’’ au tour, je ne peux plus exercer autant de force sur la pédale. Les 2h10 deviennent inaccessibles, j’espère alors 2h13 (45 km/h) mais la douleur est de plus en plus intolérable dans cet ischio, l’appui sur la selle incertain, je cherche à me repositionner mais la douleur est insupportable, il y a souvent un petit cri aigu accompagné d’une larme qui vient à l’œil. Mais en face il y a cette voix qui me dit « ne lâche rien ». J’imagine l’échelle de Borg et son échelle de perception de l’effort que j’imagine avec des chiffres à 12 ou 13/10. De temps en temps, j’ai besoin de me relever de la selle, de soulager un peu la chaîne postérieure mais les bras sont engourdis et me mettre en danseuse est un geste incertain, voire dangereux. Je manque une fois de tomber, la cuisse heurtant le cintre, j’ai l’impression d’être un pantin désarticulé les fesses hors de la selle, comme si je pédalais sur du sable ou sur un vélo pas à la taille.

Les mots « Record du Monde » prennent leur sens, faire ce que personne n’a jamais encore fait… Je connais nombre de cyclistes, et parmi lesquels des amis, qui ont un niveau bien supérieur au mien et qui pourraient faire largement mieux que moi… Mais je prends conscience qu’il faut être fort et audacieux pour se lancer là-dedans, un brin fou aussi…

Les tours défilent autour de 21’’ et le record ne peut plus m’échapper, même si le temps sera moins bon qu’espéré, peu importe. Finalement les émotions sont plus marquantes avec cette blessure qu’un meilleur temps atteint sans ce dépassement ultime de moi-même. Passé la ligne, je ne lève pas les mains, pas par peur de chuter comme mon prédécesseur au Guinness mais simplement car je n’en ai plus la force…

Sitôt descendu très difficilement du vélo, Vincent reçoit les soins de Merryl

Descendre du vélo est un effort qui me paraît plus surhumain encore que pédaler pendant 100 kilomètres… Impossible d’étendre les fessiers pour passer la jambe au-dessus de la selle, impossible de fléchir les jambes pour m’asseoir ou m’allonger au sol, comme si mon corps était baigné dans l’acide.

Il me faut 20 minutes pour me relever, doucement, en m’accrochant à la balustrade qui borde la piste, sous les applaudissements du public. Je peux maintenant savourer auprès de ma famille, de mes amis, de ceux venus m’encourager et recevoir de beaux cadeaux préparés et complotés par mon équipe, une plaque avec ma marque qui rappellera à jamais ma performance. »

Une équipe d’encadrement heureuse et fière

Symbole du record et futurs projets

L’histoire de Vincent Martins est liée à la souffrance avec des troubles du comportement alimentaire depuis l’adolescence, une tentative de suicide en 2010. Bien plus qu’un record, un accomplissement un brin égocentrique selon ses dires, il souhaite se servir de cette histoire pour partager et inspirer, pour montrer qu’avec de la volonté, une personne ordinaire peut réaliser des choses extraordinaires. 

La suite, c’est une participation à Bordeaux-Paris et une envie de continuer dans cette voie de défis qui le transcendent plus que des courses traditionnelles. S’attaquer à sa meilleure performance dans l’heure, la tenter au Mexique. Vivre à 100% l’aventure sportive dont il rêve depuis des années. Cela passe par la recherche de partenaires car cela à un coût (7000 € environ pour la tentative, incluant l’organisation, les commissaires, le contrôle antidopage, le vélodrome, le matériel investi…). Vincent souhaite tout optimiser, l’entraînement, la position ou encore le matériel. 

Par ailleurs, il espère aussi qu’un coureur s’attaquera à son record, le battra, pour pouvoir le retenter, il reste la frustration de ne pas avoir pu s’exprimer à 100%, certain qu’il est que les 2h10 étaient possibles.

 

Olivier Dulaurent

- 48 ans. – Pigiste presse écrite et Internet depuis 2004, auteur de Le Guide du Vélo Ecolo (Editions Leduc, novembre 2020), Moniteur Brevet d’Etat Cyclisme, encadrant de stages cyclistes depuis 2005 et coach cycliste - Pratiques sportives actuelles : cyclisme route et VTT (occasionnelle : course à pied) - Strava : Olivier Dulaurent

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