Le public sur les courses cyclistes : entre curiosité et fascination

La relation entretenue par le Tour de France avec son public oscille entre curiosité, amour, haine, et fascination. Au milieu de cette manifestation d’abord populaire qui doit beaucoup à sa position dans le calendrier, naissent aussi quelques vocations. 

Par Guillaume Judas – Photos : Pixabay.com, Pxhere.com, Flickr.com, commons.wikimedia.org

Le Tour de France attire de nombreux spectateurs.

Depuis sa création en 1903, le Tour de France suscite un engouement populaire qui le place en troisième position des événements sportifs les plus suivis dans le monde, après la Coupe du monde de football et les Jeux olympiques. Au bord de la route, environ 12 millions de spectateurs se déplacent chaque année pour voir passer les coureurs. Mais pas seulement. Car si le Tour d’Italie par exemple revendique le même nombre de spectateurs (les images ne semblent pourtant pas le confirmer), il y a une différence certaine entre ceux qui se déplacent en juillet et ceux de mai. Les coureurs sont unanimes à ce sujet : les spectateurs du Giro sont bien plus passionnés que ceux du Tour, dont bon nombre sont attirés par la caravane publicitaire et le gigantisme de l’organisation plus que par la course elle-même. D’ailleurs pour s’en convaincre il suffit de se déplacer sur n’importe quelle autre course organisée en France, exceptée Paris-Roubaix. On trouve certes un public de connaisseurs en nombre dans l’Ouest ou dans le Nord – et c’est aussi le cas sur beaucoup d’épreuves amateurs – mais la plupart des courses professionnelles suscitent un intérêt relatif partout ailleurs. Traditionnellement organisé en juillet, le Tour bénéficie de cette place de choix dans le calendrier pour faire le plein, parce que c’est l’été et parce que ce sont les vacances.

Quant à la caravane publicitaire, « une fantastique exhibition de l’intelligence commerciale » selon les propos de feu Jacques Goddet, directeur du Tour entre 1936 et 1987, elle a laissé place à une manifestation bigarrée et dégobillante, à mi-chemin entre les promos de supermarché et la grande parade de Disney. Elle continue d’attirer néanmoins les badauds sans limite d’âge, du gamin ravi de rapporter de précieux goodies à la grand-mère qui lui préfère le bob ou le morceau de saucisson à déguster, la seconde accompagnant le premier, à moins que ce ne soit l’inverse. 

La caravane publicitaire, qui passe avant les coureurs, est déjà un spectacle.

Motivations diverses

Il y a aussi ceux qui s’intéressent à la course bien sûr, mais dont les connaissances en matière de cyclisme se limitent à leurs échanges avec leurs potes de bistrot, ou à certains forums sur Internet. Autant dire que cela ne vole pas toujours très haut, surtout quand il s’agit de départager les affinités selon la nationalité du coureur, ou encore d’insister cyniquement sur le prétendu manque de rendement de leurs propres compatriotes. Le public français est autant chauvin que très critique à l’encontre de ses espoirs déçus. Surtout quand il s’agit de briller sur sa course de référence, son Grand Tour. Avec quelques excès, car les grandes gueules sont susceptibles de joindre la parole aux actes. Dans l’Hexagone, on préfère un perdant à panache à un vainqueur qui ne montre pas de faille.

Puis il y a les vraies groupies, celles ou ceux qui supportent un coureur ou une équipe, qui n’hésitent pas à déployer des banderoles ou à inscrire le nom de leur idole avec de la peinture blanche sur la route. Bruyants mais conviviaux, ces fans forment le noyau dur des spectateurs sur beaucoup de courses. Il y a aussi les rigolos, enfin ceux qui se croient drôles, et qui profitent du Tour et de son immense couverture médiatique à travers le monde pour espérer passer à la télé. Le Tour est retransmis dans près de 190 pays ! Piquer un 100 mètres en slip ou avec un déguisement improbable à côté des coureurs, quitte à se montrer dangereux, ne les effraie pas.

Certains supporters suivent leur coureur préféré sur plusieurs étapes.

Plus discrets sont les vrais cyclistes pratiquants, ceux qui aiment le vélo 12 mois sur 12, et qui respectent tous les coureurs quand ils se déplacent sur le Tour, aussi bien les leaders qui bataillent pour le maillot jaune ou la victoire d’étape que les gregari qui luttent dans le gruppetto. Pour eux le Tour est surtout un spectacle, une occasion de voir de près des coureurs aux mollets affûtés, ne serait-ce que furtivement. Ni excès ni surprise : grimper au sommet d’un col à vélo inculque le respect, de soi comme de ceux qui affrontent les mêmes pentes. 

Une révélation

Au milieu de cette foule hétéroclite et aux motivations variées, il y a cet enfant, qui pourrait être vous, qui pourrait être moi, quelques années en arrière bien sûr. Il se retrouve là presque par hasard, embrigadé par on ne sait quelle catégorie de spectateurs énoncée plus haut. Haut comme trois pommes, il profite des épaules de son père ou de son oncle pour y voir quelque chose de cette agitation inhabituelle, de cet événement dont il perçoit seulement de loin l’importance.

S’il est un peu plus autonome, il se faufile au premier rang, d’abord épaté par l’ambiance, puis abasourdi par le bruit de la foule et celui grimpant de la course, avant d’être fasciné par le passage des coureurs. Déplacement furtif de dizaines de paires de jambes huilées et bronzées, bruissement collectif du frottement des boyaux sur le bitume, résonance des jantes carbone qui claquent lors des changements de braquets, et souffle d’air qui prend au corps : il n’a que quelques secondes pour tenter d’apercevoir des visages burinés et à moitié dissimulés derrière casques et lunettes. Impression saisissante d’intensité, de puissance et de maîtrise de ces géants de la route, qui laisse rapidement la place à un goût de trop peu surtout lorsque suit la file de voitures des directeurs sportifs et de l’organisation et qu’il perçoit enfin le danger lié à cette proximité entre les spectateurs et la course. La rencontre ne dure que quelques dizaines de secondes, mais le voilà marqué à jamais.

Certaines vocations naissent dès le plus jeune âge.

Il se moque bien de la caravane et de ses gadgets en plastique, de ces discussions de comptoir entre supporters des uns et des autres, de ces nostalgiques qui ressassent à l’envi que c’était mieux avant et qui regrettent surtout le temps qui passe. Lui, il aura bien ses favoris, ses coureurs ou équipes préférés, mais ce qu’il voudra surtout, c’est en être un jour, appartenir à cette caste de Dieux du bitume, qui maîtrisent trajectoires et changements de développement. Coureur pro ou cyclo au long cours, qu’importe ce qu’il deviendra par la suite. Il sera cycliste. Le Tour de France n’est pas qu’un spectacle qu’on savoure pour de plus ou moins bonnes raisons. Pour certains d’entre nous, il a été une révélation, et il en sera encore de même pour les générations futures. 

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Guillaume Judas

  - 53 ans - Journaliste professionnel depuis 1992 - Coach / Accompagnement de la performance - Ancien coureur Elite - Pratiques sportives actuelles : route & allroad (un peu). - Strava : Guillaume Judas

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