La triche, phénomène de société

S’il est bien un phénomène omniprésent dans tous les domaines, c’est bien « la triche », et pas seulement dans le sport, pas seulement en compétition. Elle est partout : au travail, à l’école, en politique, sur les déclarations d’impôts, dans les jeux de société, sur la route, dans la vie en société, etc. Quels en sont les rouages et les limites ? Petites ou grosses tricheries : plongée dans le monde de la duperie.

Par Jean-Fran̤ois Tatard РPhotos : Flickr.com, Pixabay.com, Pxhere.com

En matière de triche, le sport est souvent montré du doigt, mais aucun secteur n’est épargné. La compétition, les matchs, les classements peuvent pousser à contourner les règles quand on se sent limité, ou simplement dans l’idée de fournir moins d’effort. Ou pour acquérir un avantage substantiel sur ses concurrents. La définition exacte du verbe tricher, et qui est « enfreindre certaines règles, certaines conventions explicites ou d’usage en affectant de les respecter« , peut s’appliquer à tous les niveaux et dans tous les domaines. Chacun y met bien sûr ses limites en fonction de sa propre morale, à géométrie variable selon les individus.

On retrouve la triche dans de nombreux domaines, où des individus sont prêts à tout pour s’enrichir.

Copier un texte, une oeuvre, un travail, et s’en attribuer les mérites, c’est de la triche. C’est tenter de profiter du travail d’un autre pour en tirer profit. Rouler à vélo en dehors des règles de confinement, ou rouler en groupe dès le premier week-end de déconfinement alors que les conditions de pratique de cette période si particulière ont pourtant été bien été énoncées par les autorités, c’est de la triche. Cela revient à considérer que nous sommes au-dessus des lois et des règles de prudence, qu’on se permet de contourner les règles qui valent pourtant pour les autres citoyens, au risque de nous mettre et de les mettre en danger, ou encore de voir un retour de conditions plus strictes dans les prochaines semaines. Un comportement dans le fond pas si différent de celui des tricheurs célèbres.

En cette période de déconfinement progressif, la règle voudrait que l’on reprenne le vélo sur route en solitaire, en respectant la distanciation sociale. Un mot d’ordre manifestement pas compris par certains clubs ou groupes.

Le coût de la triche

Dos au mur face aux témoignages convergents, Lance Armstrong en 2013 a fini par reconnaître avoir utilisé des substances dopantes et autres procédés pour gagner ses 7 Tours de France. L’Omerta brisée, le sprinter britannique Dwain Chambers nous rapportera dans ses confessions la même détermination de départ : « Gagner à tout prix ! ».

Dans ce domaine, la tromperie à un coût presque rapidement vérifiable : les tricheurs sont souvent confondus et punis. Même si le grand fantasme des substances indétectables par tous les moyens de contrôle subsiste, on ne compte plus le nombre d’athlètes rattrapés par la patrouille qui ont été mis à pied et parfois même radiés à vie des fédérations sportives. Ces cas ne sont que des exemples de ce qui semble être un flot infini d’affaires de fraudes rapportées par la presse, et qui ne touchent d’ailleurs pas que le sport. On le voit dans le travail, les commerciaux d’ailleurs le plus souvent, ou l’esprit de compétition est d’autant plus exacerbé, mais aussi en science, dans l’éducation, dans le monde de la finance, etc. Cahuzac ou Madoff ne sont d’ailleurs pas très différents d’Armstrong dans leur façon d’agir.

Pour mettre main basse sur le Tour de France et le cyclisme mondial pendant sept années, Lance Armstrong a triché avec les règles et déjoué les contrôles.
Si le tricheur risque de tout perdre une fois démasqué, il doit aussi vivre dans l’attente et souvent sans avoir la conscience tranquille.

Certaines réputations se construisent aussi sur de la triche. Si le tricheur risque de tout perdre une fois démasqué, il doit aussi vivre dans l’attente et souvent sans avoir la conscience tranquille. Mais c’est bien sûr une affaire de conscience personnelle, d’honnêteté et surtout d’éducation, celle qui construit notre propre morale et qui définit les limites de ce qu’on peut faire ou non. Une fois démasqués, les tricheurs sont stigmatisés et susceptibles de perdre leur palmarès s’il s’agit de sport, ou leur emploi s’il s’agit de boulot.

La triche provoque évidemment toute une série de dégâts collatéraux. Une fois les ressources gaspillées par les tricheurs, les individus qui respectent les règles, eux, sont malheureusement privés des récompenses qu’ils méritent. Une recherche scientifique malhonnête peut conduire d’autres chercheurs à s’engager dans la mauvaise voie, aboutir à des politiques publiques incohérentes et faire du tort à des patients, si les décisions thérapeutiques sont fondées sur des informations fausses. Ce ne sont que des exemples de conséquences qui peuvent s’appliquer à de nombreux domaines. Tricher peut se révéler préjudiciable pour les individus et pour la société.

Un phénomène de société

Bien qu’il soit réconfortant de penser que la plupart des gens sont honnêtes, la triche est courante. Une enquête datant de 1997 et publiée par Linda Klebe Trevino, de l’Université d’État de Pennsylvanie, avait révélé que sur 1800 étudiants de neuf universités américaines, les trois quarts environ avaient admis avoir triché lors d’examens écrits. En 2005, le sociologue Brian Martinson et ses collègues de la Fondation de recherche Health Partners à Bloomington, dans le Minnesota, avaient rapporté qu’un tiers des scientifiques confessaient n’avoir pas été irréprochables également dans leurs recherches au cours des trois années qui avaient précédé l’enquête. La triche n’est pas limitée qu’aux humains. La pratique est très répandue dans le monde animal aussi. Et oui, dès lors qu’il y a compétition pour des ressources limitées, on y est exposé.

Dès lors qu’il y a compétition pour des ressources limitées, on est exposé à la triche.

Les origines de la tromperie

Dans la nature, la tromperie permet à certains individus d’obtenir des avantages sans avoir à fournir l’effort nécéssaire. Pour un individu, le calcul est simple : « est-ce que je peux obtenir quelque chose gratuitement, sans me faire prendre ? » Quelle que soit l’échelle et le niveau de triche ou de résultat lié à la triche, qu’il y ait une médaille de champion de la rue à gagner ou l’or olympique, certains prennent ce risque. Il faut voir aussi dans le monde du travail ce que certains sont prêts à faire pour dominer. On en connait tous quelques uns qui s’offrent l’illusion d’être bons et pensent briller en éteignant les autres.

En principe, on sait tous comment tricher. La question est à savoir ce qui nous fera tricher. S’agit-il de logique ? De pulsion ? D’influence d’hormones dans le cerveau ? La tricherie est largement répandue… Mais pourquoi en arriver là ? Nous avons tous certainement déjà triché d’une manière ou d’une autre. Alors démystifions ! Les facteurs qui mènent à la tricherie sont nombreux :

  • Être dans un environnement qui montre d’emblée des signes de comportements déviants. Où on sait que la triche existe. Allez faire un tour dans les pelotons cyclistes ou alors plus simplement sur les chantiers où la moitié des travaux ne sont pas déclarés.
  • Le fait de penser qu’il y a tellement d’écrits et de ressources sur un sujet donné mène à croire que notre propre comportement n’aura pas beaucoup d’impact. Alors…
  • L’exposition à une conception déterministe selon laquelle notre comportement est le résultat des gènes et de l’environnement, par opposition au libre choix. On suit le mouvement sans plus de réflexion.
  • L’impression d’avoir du pouvoir. D’être au-dessus des règles.
  • Une fatigue physique ou intellectuelle qui laisse place à la tentation. Sans même pouvoir y résister…

Le plus inquiétant, c’est que la tricherie peut devenir un affermissement de mauvaises pratiques. Lorsque nous trichons, nous avons tendance à rationaliser le comportement. Comme il nous est impossible de changer le passé, nous modifions notre attitude et justifions nos actions. Il semblerait ainsi que la tricherie puisse même inhiber temporairement l’éthique.

Le jeu, même lorsqu’il est sans enjeu, est un domaine où la triche est omniprésente.

Inhiber la triche 

Les facteurs qui inhibent la triche sont principalement :

  • Lorsque l’on sait que l’on est observé, on a moins tendance à agir de façon malhonnête. De subtils signes de surveillance tels des miroirs ou des images d’yeux sont persuasifs.
  • Le rôle des normes sociales : si la tricherie est plus acceptée, les gens auront davantage tendance à céder à la tentation, mais l’inverse est tout aussi vrai.
  • Un contrôle strict des règles et la peur de se faire prendre : dans le sport par exemple, chaque jour les contrôles antidopage s’améliorent et il est de plus en plus compliqué de passer entre les mailles du filet. Les tricheurs invétérés s’adaptent. Mais ils peuvent toujours être démasqués rétroactivement. Les autres finissent par suivre les règles.
  • Une réflexion sur les comportements que l’on juge déviants soi-même : avant d’être malhonnête ou d’enfreindre même une petite règle, on peut se demander quelles sont nos propres exigences vis-à-vis d’autres personnes. On ne peut juger un tricheur si l’on pratique aussi la duperie. C’est sans objet, on perd tout crédit.

Les premiers théoriciens qui considéraient la tricherie comme une question de développement de la personnalité et de la morale n’avaient pas tout à fait tort. Ainsi, il semble que certaines personnes ne tricheront jamais, contexte facilitant ou pas. Et donc, les personnes qui accordent une haute importance aux valeurs telles que l’honnêteté, l’équité et la compassion sont restées à l’abri de la tentation de tricher.

Les personnes qui accordent une haute importance aux valeurs telles que l’honnêteté, l’équité et la compassion sont restées à l’abri de la tentation de tricher.

En conclusion

Le message à retenir est que les injonctions fondées sur l’éthique et la morale tout comme celles reposant sur la menace de sanctions ne seraient en fait pas toujours efficaces pour prévenir la fraude. Nous mettons en lumière des mécanismes sous-jacents à ce type de comportement qui pourraient ainsi ouvrir la voix à de nouvelles stratégies. L’hypnose ou la méditation pour réduire son niveau de stress, par exemple. L’introspection et cette capacité à voyager seul avec soi-même reste le meilleur rempart contre cette tendance à franchir les limites.

Mais surtout, bien au-delà de toute forme de reconnaissance ou de soif de s’accomplir, je pense qu’une solide boussole morale peut conduire quelqu’un en toute sécurité à travers les contextes les plus obscures et pendant toute une vie… La même qui doit nous empêcher de crier avec les loups quand on n’est soi-même pas certain d’être irréprochable.

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Jean-François Tatard

- 43 ans - Athlète multidisciplinaire, coach en vente et consultant sportif. Collaborateur à des sites spécialisés depuis 10 ans. Son histoire sportive commence quasiment aussi vite qu’il apprend à marcher. Le vélo et la course à pied sont vite devenus ses sujets de prédilection. Il y obtient des résultats de niveau national dans chacune de ces deux disciplines.

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